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LE DRAC.

ANDRÉ.

Fallait [)as entendre. Sais-tu ? y a longtemps que je me doute de quéque chose qui ne me convient pas !…

LE DRAC.

Quoi donc, patron ?

ANDRÉ.

Tu te permets de penser à Francine, et ça ne vaut rien à ton âge ! C’est trop tôt… D’ailleurs t’es rien qu’un petit vagabond, et j’entends pas… Suffit ! tu m’entends.

LE DRAC, à part.

Ah ! Nicolas aimait Francine… d’un autre amour que moi !… Et à présent, moi, je l’aime donc comme il l’aimait ?

ANDRÉ.

A quoi que tu penses ? Voyons, faut t’en aller à la mer.

LE DRAC, tressaillant.

A la mer ?… Ah ! oui, pêcher encore !

ANDRÉ, rudement.

Tous les jours !

LE DRAC, préparant une lanterne et des cannes pour la pêche aux coquillages.

On y va, patron !

ANDRÉ, s’asseyant, à part.

C’est trop tard pour se coucher ; mais une nuit blanche, comme ça, à mon âge… il s’accoude sur la table. Haut. Dis donc, toi, tu l’as pas vu partir, Bernard ?

LE DRAC.

Si, je l’ai vu !

ANDRÉ.

Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

LE DRAC.

Qu’il ne reviendrait jamais !

ANDRÉ, frappant du poing sur la table.

Malheur ! c’est la faute à Francine ! A part. Quand je pense qu’il a cinquante mille francs en beaux louis d’or, qu’il me les a confiés, qu’ils sont là, et que ça pourrait être à nous, si Francine avait voulu ! Ah !… Il s’endort.

LE DRAC., qui l’a écouté et qui s’est approché de lui furtivement.

De l’or, beaucoup d’or ! c’est le rêve du pauvre ! Vieillard courbé sous la fatigue, tu vas donc mourir sous ton toit de roseaux, bien heureux encore d’avoir pu recueillir quelques misérables débris pour construire ta demeure au bord de l’abîme. Le vent d’hiver secouera ta porte mal jointe, la pluie ruissellera contre tes vitres enfumées… et tu pourrais acheter une villa dans la plaine, loin de ces noirs écueils, rêver sous les arbres de ton jardin…

ANDRÉ, révant.

Des tilleuls, des pommiers…