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tous les autres hommes : ce n’est pas seulement de faire le mal par dessein, mais encore de n’avoir jamais fait le bien par méprise ; ce n’est pas seulement d’avoir employé avec un égal dommage votre indolence et votre activité, c’est encore d’avoir pris pour principe premier et uniforme, et, si je puis l’appeler ainsi, pour génie dominant de votre vie le talent de traverser tous les changemens et toutes les contradictions possibles de conduite, sans que jamais l’apparence ou l’imputation d’une vertu ait pu s’appliquer à votre personne, ni que jamais la versatilité la plus effrénée ait pu vous tromper et vous séduire jusqu’à vous engager dans une seule sage ou honorable action. » Il continue et s’acharne ; même lorsqu’il le voit tombé et déshonoré, il s’acharne encore. Il a beau avouer tout haut qu’en l’état où il est, son ennemi « désarmerait une rancune privée ; » il redouble. « Pour ma part, je ne prétends point comprendre ces prudentes formes de décorum, ces douces règles de discrétion que certaines gens essaient de concilier avec la conduite des plus grandes et des plus hasardeuses affaires. Je dédaignerais de pourvoir mon avenir d’un asile ou de conserver des égards pour un homme qui ne garde point de ménagemens avec la nation. Ni l’abjecte soumission avec laquelle il déserte son poste à l’heure du Ranger, ni même l’inviolable bouclier de lâcheté dont il se couvre, ne le protégeraient. Je le poursuivrais jusqu’au bout de ma vie et je tendrais le dernier effort de ma force pour sauver de l’oubli son opprobre éphémère et pour rendre immortelle l’infamie de son nom. » Excepté Swift, y a-t-il une créature humaine qui ait plus volontairement concentré et aigri dans son cœur le poison de la haine ? Celle-ci n’est point vile cependant", car elle se croit au service du juste. Au milieu de leurs excès, c’est cette persuasion qui les relève ; ils se déchirent, mais ils ne rampent pas ; quel que soit l’adversaire, ils se tiennent debout devant lui.


« Sire, écrit Junius au roi, c’est le malheur de votre vie et la cause originelle de tous les reproches et de toutes les calamités qui ont accompagné votre gouvernement, que vous n’avez jamais connu le langage de la vérité tant que vous ne l’avez point entendu dans les plaintes de votre peuple. Il n’est point trop tard cependant pour corriger l’erreur de votre éducation. Nous sommes encore disposés à tenir un compte indulgent des pernicieuses leçons que vous avez reçues dans votre jeunesse et à fonder les plus hautes espérances sur la bienveillance naturelle de vos inclinations. Nous sommes loin de vous croire capable d’un dessein délibéré et d’un attentat direct contre les droits originels sur lesquels toutes les libertés civiles et politiques de vos sujets sont assises. Si nous avions pu nourrir un soupçon si déshonorant pour-votre renommée, nous aurions depuis longtemps adopté un style de remontrances fort éloigné de l’humilité de la plainte. Le peuple d’Angleterre est fidèle à la maison de Hanovre, non parce qu’il préfère vainement