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tâche de sauver parmi nous le principe monarchique avait eu foi dès lors en cette politique qu’il sut, pratiquer plus tard avec une constance si ferme et si clairvoyante, que n’eût-il pas gagné à tout risquer dès le premier moment ! Même avant ce changement de cabinet, bien du terrain était perdu : quelle brèche allait donc s’ouvrir dans l’intervalle du 4 novembre au 13 mars ? Gardons-nous cependant d’imputer à la royauté seule de regrettables défaillances. C’est tout le monde, ou peu s’en faut, qu’on doit en accuser. L’idée que toute révolution est irrésistible et fatale à qui veut l’attaquer de front, tandis qu’en la caressant, en lui obéissant, on finit par en triompher, cette trompeuse théorie, le roi Louis-Philippe sans doute, au début de son règne, malgré sa haute sagesse, malgré son courageux bon sens, laissa trop voir qu’il y croyait ; mais y croyait-il seul ? N’était-ce pas le credo politique de presque tous les hommes de sa génération ? Il est vrai que dans son premier conseil se trouvaient d’éminens esprits qu’une philosophie plus saine, une étude plus approfondie de la nature humaine avaient, par exception, imbus d’autres idées ; mais eux-mêmes, dans ces premiers instans, chargés à l’improviste du fardeau des affaires, avaient-ils de leur propre système une idée assez nette pour le donner au roi comme un remède souverain ? Ils faisaient de la résistance, à la tribune, au conseil, dans leurs dépêches, dans leurs conversations, le plus et le mieux qu’ils pouvaient, avec mille embarras et quelque incohérence, par devoir, par honneur plutôt qu’avec ce ferme espoir, ces idées arrêtées, cette confiance un peu systématique, que, quelques années plus tard, l’expérience du pouvoir devait leur inspirer. Ils avaient fait entrer la royauté naissante, ils avaient essayé de la guider et de la retenir dans la voie qu’ils suivaient eux-mêmes ; mais l’y pousser à fond, à outrance, quand même ils l’auraient pu, ils auraient hésité. Loin de se croire nécessaires, il se sentaient alors, comme le dit M. Guizot, plutôt compromettans qu’efficaces. Aussi, lorsque la crise éclata, ils mirent le monarque à son aise en l’invitant eux-mêmes à ne pas résister.

Ils ne connaissaient pas, tout le monde alors ignorait comme le roi lui-même, la véritable force de cette royauté si frêle en apparence. Sa force était dans sa nécessité. Quelle autre combinaison tant soit peu sérieuse aurait-on pu lui opposer ? L’empire ? Son nom ne fut pas même prononcé. C’était alors une grande ombre, purement historique ; l’idée de sa résurrection n’entrait dans aucun esprit. La république ? Il en fut question ; on lui fit une candidature, mais en paroles seulement. Jamais elle n’aurait osé s’imposer alors à la France sous son véritable nom. Elle ne cherchait qu’un pseudonyme qui lui frayât sa route et qui l’aidât à grandir. Son rêve