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n’était pas un 24 février, une surprise, un coup de main ; pour les meilleurs républicains, la monarchie, telle qu’ils la voulaient faire, était alors vraiment et sans la moindre flatterie la meilleure des républiques. Il n’y avait donc là qu’un danger d’influence, il n’y avait pas une rivalité. Et quant à la royauté d’un noble enfant protégée par une régence habile et populaire, c’était sans doute, en théorie, la plus honnête et la plus politique de toutes les solutions ; mais ceux qui se souviennent de l’état des esprits au lendemain des trois journées peuvent dire s’il existait une puissance humaine qui eût fait accepter alors cette équitable transaction.

Il n’y avait donc que l’anarchie qui, pour la royauté du 9 août, fût un sérieux compétiteur, et cela même était sa force. Quand un gouvernement ne peut tomber qu’au profit du désordre, quand ses rivaux sont tous ou impuissans ou divisés, quand seul il peut offrir un abri, un refuge, un espoir de sécurité à tout un peuple menacé de grands maux ou frappé d’une grande terreur, la force de ce gouvernement s’accroît en proportion de cette terreur même et du besoin qu’on croit avoir de lui. N’en savons-nous pas quelque chose sans remonter bien haut dans notre histoire ? Or en 1830 les craintes du pays étaient non moins fondées et aussi vives à coup sûr qu’en 1851. Ce flot démagogique brusquement déchaîné, c’était pour la première fois depuis la fin du dernier siècle qu’on l’entendait mugir. Le vieux conflit entre l’Europe et la révolution n’allait-il pas à ce signal nécessairement renaître ? Et la guerre une fois allumée, tous les malheurs, tous les excès, tous les crimes que nos pères avaient vus, ne faudrait-il pas les revoir ? Telles étaient les appréhensions des esprits même les moins timides. Sans doute ils s’effrayaient trop tôt ; tout le monde aujourd’hui le devine : il est aisé de prédire après coup. L’Europe évidemment avait plus peur de nous qu’envie de nous chercher querelle, et nous avions pour faire triompher l’ordre ce que nos pères n’avaient pas eu, des citoyens et une armée : pour tout dire en un mot, nous n’étions pas en 1792 ; mais c’était là précisément ce que presque personne ne consentait à croire. L’analogie des situations semblait si évidente qu’on s’obstinait à en conclure l’identité des résultats. Ceux-là seuls qui voulaient prouver que, pourvu qu’on en eût le courage, on pouvait contenir le flot soutenaient que ces analogies n’étaient qu’à la surface, que tout était changé, les situations comme les dates, et que les résultats, avec un peu d’effort, devaient être tout différens ; mais, chose étrange et qui souvent arrive, pendant qu’avec clairvoyance ils luttaient d’un côté contre ce faux système des analogies historiques, ils le pratiquaient de l’autre, et, sur la foi d’une similitude non moins problématique, ils nourrissaient des illusions tout aussi