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serviteurs les plus fidèles, les amis personnels du monarque tombé, se résignèrent si tôt, non sans tristesse, mais sans hésitation, à reconnaître la royauté nouvelle et même à lui prêter serment ? Quel autre sentiment que le plus pur patriotisme pouvait forcer ces nobles cœurs à faire ainsi violence à leurs plus saintes affections ? S’ils avaient vu pour la patrie une autre voie de salut, auraient-ils accepté ce calice ? Eux-mêmes ne l’ont-ils pas dit ? Leurs paroles ne sont-elles pas là qui défient l’équivoque et les faux commentaires ? Si vous doutez que le roi Louis-Philippe ait été appelé au trône par un irrésistible mouvement national, par une de ces nécessités qui non-seulement expliquent, mais légitiment les origines d’un pouvoir, si vous êtes tenté d’épiloguer sur je ne sais quel défaut de forme, peut-être même de prêter l’oreille à de vulgaires imputations d’ambition et d’intrigue, ouvrez le Moniteur du 11 août 1830, voyez ce que pensaient, ce que disaient à la chambre des pairs, avant de prêter serment à la charte nouvelle, les hommes les moins suspects, à coup sûr, de complaisance pour le nouveau pouvoir. Vous devez en croire, ce semble, M. le duc de Fitzjames et tant d’autres de ses nobles amis qui ont, comme lui, motivé leur serment. N’est-il pas clair que leur cœur saigne, que ce n’est pas l’affection qui les pousse, mais l’aiguillon de la nécessité, que malgré eux ils se rattachent à la seule ancre qui leur reste ? Ces paroles disent tout : quiconque les a lues ne peut douter de bonne foi que si, dans le premier mois de son existence, la royauté de 1830 eût cru devoir, comme d’autres l’ont fait, demander à la France telle adhésion, telle consécration, tel baptême qu’elle eût voulu, la France, avec empressement et sans parcimonie, lui aurait donné tous ces millions de votes qui maintenant sont le signe nécessaire de sa souveraine volonté.

Est-ce une faute que d’avoir négligé ce moyen de fortifier, au moins en apparence, les bases de ce pouvoir naissant ? En l’abritant sous le puissant manteau de la volonté nationale explicitement exprimée, n’assurait-on pas sa durée, ou tout au moins ne supprimait-on pas un éternel prétexte de récriminations et d’attaques ? Quand vous voyez le merveilleux parti que des institutions, bien différentes il est vrai, ont su tirer de la résurrection de ce moyen déjà connu, vous ne pouvez guère vous défendre d’un regret amer et profond. Vous faites le procès à cet amour de la sincérité, à ce dédain des fausses apparences que, dès ses premiers jours, la nouvelle monarchie vit prévaloir dans ses conseils. Vous vous dites qu’après tout, quand on se mêle de gouverner les hommes, il faut penser au but et n’être pas si difficile, si raffiné sur les moyens. Eh bien ! non ; ne vous abusez pas, ne vous laissez pas prendre à une