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qu’une chose, c’est que dans les rangs de cette majorité, un peu flottante et mélangée, que s’était formée le nouveau ministère, trente membres environ ne surent pas résister à l’espoir, peu fondé sans doute, l’événement l’a prouvé, mais loyal et sincère, de rétablir cette combinaison si forte, si bien équilibrée, qui n’avait succombé naguère que par malentendu, et qui s’était, dans leur esprit, comme idéalisée par le regret et par le souvenir, à tel point que, pour assurer du même coup l’affermissement de la monarchie et la réalité du gouvernement représentatif, ils ne voyaient qu’un moyen vraiment sûr, la résurrection de ce cabinet modèle, ou tout au moins une union solide et cimentée, un second mariage entre deux de ses principaux chefs.

C’est la perspective de cette panacée qui peu à peu, et comme malgré eux, devait les attirer même au-delà de leurs frontières. Chacun ne parle que pour soi ; je crois pourtant avoir assez connu la plupart de ces trente membres pour oser dire, en leur nom comme au mien, que s’ils n’avaient pas cru saisir l’occasion, peut-être unique, de refaire en 1839 ce qu’on avait si bien fait en 1832, de reconstruire le cabinet du 11 octobre, cette première coalition qui n’avait scandalisé personne, et dont ils attendaient pour leur cause, pour l’affermissement de la monarchie constitutionnelle, de si puissantes garanties, jamais ils n’auraient pris part à cette autre coalition qui allait étonner et troubler tant de gens : stratégie mal comprise, partant mal conçue, qui devait diviser ce qu’il fallait unir sans unir ce qui était divisé, et laisser après elle autant d’irritations que de mécomptes et de regrets.

Maintenant, après vingt ans d’expérience, il est aisé de reconnaître que le but qui nous avait séduits était lui-même une illusion. Non-seulement, même après la victoire, on n’était pas sûr de l’atteindre mais en supposant même, ce que départ et d’autre on souhaitait à coup sûr, en supposant qu’après comme pendant la lutte on fût resté uni, qu’on eût tout rétabli, tout remis à sa place, l’ancienne association n’aurait pas pour cela repris sa vie première et prospéré comme autrefois. Le temps, qui toujours marche, ne permet pas aux mêmes causes d’avoir deux fois mêmes effets. Les situations, les circonstances, les rapports des personnes, tout était modifié. De ces deux hommes dont on voulait avec raison unir et faire concerter la puissance oratoire, l’un avait pris dans son parti pendant quelques instans une position dominante qui ne permettait guère qu’il se pliât désormais à n’avoir plus que son ancienne part de pouvoir et de responsabilité. S’y fût-il résigné, comme sans doute il en avait dessein, l’union qu’on rêvait conduisait forcément à un second divorce ; mieux valait que chacun suivît séparément