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est imparfaitement pourvu par l’établissement de mares ombragées qui, remplies dans les saisons humides, tarissent trop souvent l’été. Le creusement de vastes citernes serait le seul remède complet à ce mal ; mais il exige des capitaux dont la culture n’est point encore en possession. La masse crayeuse fait pour la contrée l’office d’un immense réservoir : les eaux du ciel que lui transmet la couche arable l’imbibent et la traversent lentement ; puis, arrêtées par la couche compacte d’argile brune qui sert de base à la formation ou par le calcaire jurassique, elles reparaissent au jour dans le fond des vallées, fraîches, limpides et chargées de sels fertitisans. De là vient cette abondance de sources qui sourdent du pied des coteaux à un niveau presque constant, de là viennent aussi la fraîcheur et la fécondité proverbiales des vallées normandes.

Cette constitution du terrain n’est pas le seul avantage naturel dont soit en possession la Normandie. Les vents d’ouest lui distribuent les vapeurs tièdes du gulfstream ; ils tempèrent ses étés, adoucissent ses hivers, et ne laissent jamais les sécheresses ni les gelées y interrompre longtemps la marche de la végétation. Ce concours de la perméabilité d’un sol riche et de la moiteur de l’air donne à la contrée dont il est le privilège une avance considérable sur celles qui ne jouissent que d’une seule de ces conditions ; à égalité de surface et de qualité, la terre y produit beaucoup plus d’herbe et de feuillage, la saison de la végétation y est beaucoup plus longue que sous un ciel moins voilé. De cette active reproduction d’une herbe toujours vive, touffue, substantielle, découlent la force, la beauté, la multiplicité des animaux ; l’abondance des engrais vient à la suite, et complète les circonstances naturelles favorables à la bonne culture.

Les contrées envers lesquelles la nature est le plus prodigue sont rarement celles où l’homme est le plus laborieux, et un vieux dicton reproche aux fermiers normands de ne savoir que regarder ruminer leurs bœufs. Le temps qui se perdait jadis se regagne aujourd’hui. L’emploi à larges doses de la marne, qui s’extrait le plus souvent tout près de la surface du sol, devient général ; lorsque la marne est trop profonde ou trop éloignée, elle est remplacée par la chaux. Après les amendemens, on a multiplié les engrais ; les jachères font place à toute sorte de cultures fourragères ; les cheptels des fermes ont doublé et triplé ; le produit moyen de l’hectare de blé, qu’on évaluait naguère à 15 hectolitres, est aujourd’hui dans les fermes bien cultivées entre 20 et 25, et il est en voie de s’élever à 30 comme en Angleterre. Parmi les causes de cet accroissement de produit, il en est une d’autant meilleure à signaler qu’il est partout facile de se l’approprier : c’est le soin apporté dans le choix