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quelques abus du droit de la guerre commis sur les pauvres gens et les femmes.

Passons sur les épisodes sanglans des guerres de religion dont Rouen fut le théâtre de 1552 à 1582. La ville prit plus tard le parti de la ligue, et Henri IV l’assiégea en 1591. Il faut lire dans Agrippa d’Aubigné comment le roi fit à ce siège pâlir les plus braves par son audace. Il revint à Rouen cinq ans plus tard. Le récit de son entrée[1] n’est guère moins détaillé que la chronique d’Alain Chartier, et ce qu’on y remarque le plus, c’est la profusion de devises latines et grecques dont étaient ornés sur son passage les édifices publics et particuliers. Peut-être le roi n’était-il pas celui qui les comprenait le mieux ; mais il ne ressort pas moins de cette circonstance que la ville de Rouen était, il y a deux cent soixante-dix ans, tout au moins aussi lettrée qu’aujourd’hui. Le grand Corneille y naissait sous ce règne béni, et l’énergique concision de son style est empreinte de la saveur des fortes études latines qu’il y fit. Le roi Henri logea à l’abbaye de Saint-Ouen, et son séjour à Rouen fut de dix-sept semaines : elles ne furent pas les moins occupées de sa vie ; il ne cessa de travailler en réparateur aux affaires de la ville, de la province et du royaume. Il fut si heureux des témoignages d’amour qu’il y recevait et si frappé de l’importance de la position, qu’il voulut, dit la chronique, « y faire bastir un chasteau et ville neuve de l’autre costé de la rivière, dont il fit faire plusieurs devis et dessins par savans et experts architectes mandés exprès par son commandement pour cet effet. » La population entière l’accompagna à son départ jusqu’à une lieue de la ville, et en la congédiant « il l’assura derechef du désir qu’il avoit de faire bastir une maison en sa ville de Rouen pour s’y accommoder et y séjourner quelque saison de l’année. » D’autres soins l’entraînèrent, et cette parole de Gascon à Normands n’a jamais été tenue.

Tandis que les ténèbres et la violence régnaient sur l’Europe, la civilisation, le commerce, les arts se développaient à Rouen. Le plus populaire de tous, celui dont les œuvres exigent le plus le concours de la science, l’architecture, y brillait d’un éclat dont elle est aujourd’hui bien éloignée. La cathédrale a été reconstruite du commencement du XIIIe siècle à celui du XVIe. L’érection de l’église de Saint-Ouen, le chef-d’œuvre de l’art gothique, date à peu près du même temps[2]. Jean Marcdargent, issu d’une famille de cultivateurs,

  1. Discours de la joyeuse et triomphale entrée de très haut, très puissant et très magnanime prince Henri IVe de ce nom, très chrestien roi de France et de Navarre, faicte en sa ville de Rouen le mercredi 16e jour d’octobre 1596.
  2. Histoire de l’abbaye royale de Saint-Ouen de Rouen, par le père François Pommeraye, des bénédictins de Saini-Maur ; petit in-folio, Rouen 1662.