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du commerce et de la navigation et proposer au roi les moyens de les favoriser. » Puis, comme l’intendant de la Haute-Normandie craignait que les protestans ne prissent de l’autorité dans ces assemblées, Colbert lui fait écrire par Seignelay « qu’on ne fait point de distinction dans les affaires du commerce des gens de la religion prétendue réformée, qu’ainsi les marchands de Rouen peuvent députer qui bon leur semble pour apporter les mémoires qui leur sont demandés. » En même temps le chevalier de Clerville, dont on se souviendrait davantage si Vauban n’était pas venu après lui, terminait à Rouen une reconnaissance des ports de la Normandie, et, guidé par les instructions de Colbert, il déterminait les négocians de la ville à former la première compagnie d’assurances maritimes qu’ait possédée notre pays. Une association de capitaux entre Rouen et Paris réunit un fonds de 1,400,000 livres, et les assurances, dont la Hollande et l’Angleterre avaient le monopole, leur furent enlevées. La compagnie prêtait ses fonds libres à 6 1/4 pour 100, à la condition d’exigibilité à volonté, et Clerville constata que les expéditions locales de toiles en Espagne payaient les laines et les métaux précieux que nous en tirions.

Le cardinal de Richelieu et Colbert après lui avaient, a-t-on dit, des espions qui allaient pour eux à la recherche des gens de mérite. Les ministres de nos jours ne sont pas réduits à cette extrémité ; s’ils demandent un homme capable, il se forme à l’instant une émeute à la porte de leur cabinet. Les espions de Colbert ne le trompèrent pas le jour où ils lui dénoncèrent Fermanel, négociant de Rouen, dont il fit son correspondant et son agent le plus intime pour les affaires de la Normandie. La correspondance de ces deux hommes et les mesures qui en furent le résultat, de 1669 à 1679, sont un modèle d’intelligence quant au progrès de l’industrie et l’amélioration du sort des populations ouvrières ; malgré deux siècles écoulés, on est souvent tenté, en parcourant la ville de Rouen, d’en recommander l’étude, comme celle d’une nouveauté, aux administrations publiques du pays.

Colbert mourut en 1683, et l’édit de Nantes fut révoqué en 1685, mesure fatale, dont les résultats devraient servir de leçon à tous les gouvernemens temporels qui s’immiscent dans la direction des consciences. On comptait deux cent mille religionnaires en Normandie, dont quatre mille à Rouen. Ils n’avaient pas toujours eu pour le culte catholique la tolérance qu’ils réclamaient pour le leur, et les torts des deux communions étaient au moins réciproques ; mais le gouvernement, en excluant de fait les protestans des carrières publiques, les avait rejetés dans les carrières industrielles, et le-vide qu’ils y firent, les forces qu’ils portèrent à l’étranger furent d’autant