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grandes quantités de vins de la Provence, du Languedoc, de la Gironde : ces vins arrivaient autrefois par mer et par Rouen ; ils se dirigent aujourd’hui vers leur but par des voies plus courtes et plus rapides. Revenir aux anciens erremens est impossible, et il ne peut plus être question que de chercher des compensations au vide qui se produit. Des administrateurs, qu’il faut bien ici distinguer des commerçans, en ont cru trouver une dans la création de docks et d’entrepôts de douane à Rouen. De pareils établissemens sont essentiellement du domaine de l’industrie privée ; ils prospèrent par la clientèle de négocians qui aiment beaucoup mieux avoir affaire à leurs pairs qu’à des administrations dont le mouvement des marchandises n’est pas le métier, et partout où ils sont à leur place, les intelligences et les capitaux se tournent avec empressement vers eux. Des intelligences et des capitaux ! Quelle ville est à cet égard mieux dotée que celle de Rouen ? Cependant personne ne s’y est soucié d’y devenir fondateur de docks : soit qu’on n’y remarquât pas cette quantité d’entrepôts particuliers par laquelle se signale ordinairement l’opportunité de la création d’un entrepôt général, soit qu’on craignît la concurrence du Havre, où les affaires attirent les affaires, où l’assortiment sera toujours plus complet, où la rupture de charge est inévitable, tandis qu’elle a cessé de l’être à Rouen le jour où des remorqueurs à vapeur et des trains de chemins de fer ont fait passer debout sous ses murs des marchandises venues de la mer, soit par d’autres causes qui nous échappent, on a mis les docks au compte de la ville. La ville a d’autant moins résisté à prendre à sa charge cette conception qu’elle n’avait aucune avance à y consacrer, et l’on sait combien peu les villes et les jeunes gens qui se ruinent hésitent à se jeter dans les entreprises qui n’engagent que leur avenir.

Dans le bilan de l’endettement public qu’il vient de dresser si courageusement, M. Fould a oublié un chapitre : celui des dettes municipales. Il y aurait un livre à faire, et des plus instructifs, sur l’énormité des charges improductives imposées depuis quelques années à l’avenir des communes, et sur l’art avec lequel se groupent les chiffres dans des comptes dont ceux qui devraient en réprimer le désordre détournent complaisamment les yeux. Il suffit ici de rappeler qu’une loi du 14 juillet 1860 a ajouté pour treize ans 20 centimes additionnels au principal des contributions directes de la ville de Rouen, prolongé les surtaxes de l’octroi, et autorisé, en attendant mieux, une émission d’obligations municipales de 11,500,000 fr. Ces mesures financières ont mis la ville en état de terminer ses docks, de percer un certain nombre de rues, et personne n’a demandé si cette aggravation des charges locales ajouterait aux moyens qu’a le district manufacturier de Rouen de soutenir la concurrence anglaise, protégée par nos nouveaux traités de commerce.