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et chaussées, le pavé de Rouen est des plus remarquables par son mauvais état. Les faux pas des piétons accoutumés à ses inégalités, les entorses des étrangers, les frais qui en résultent pour le camionnage local, ne sont rien auprès de l’insalubrité produite sous un ciel brumeux par l’humidité qui se maintient dans ses lignes disjointes. L’établissement d’un bon pavé était une des choses que Colbert recommandait le plus instamment en 1670 dans l’intérêt de l’industrie de Rouen ; il allait jusqu’à faire ouvrir dans le haut de la Seine des carrières pour cette destination. Il indiquerait aujourd’hui à la ville celles d’Erquy, dont le grès serré et impénétrable à l’humidité est d’une durée presque indéfinie, et il assurerait ainsi à une navigation dont le pays déplore l’amoindrissement un aliment que rien ne pourrait lui enlever[1].

Enfin c’est pitié de voir à Rouen, aux abords de filets d’eau intermittens qu’on décore par courtoisie du nom de fontaines, de pauvres gens se mettre à la queue pour remplir non un broc, mais une bouteille ! La facilité de l’alimentation et l’aérage des logemens ne sont pas toutes les conditions de l’hygiène des familles d’ouvriers : il y faut encore l’abondance des eaux. L’Ecosse et l’Angleterre l’ont depuis longtemps compris, et elles ont par là beaucoup ajouté aux forces vives de leur industrie manufacturière[2]. Nous commençons à marcher dans cette voie : les villes de Toulouse, de Marseille, de Lyon, de Saint-Etienne, y sont entrées des premières. Rouen en est aux études et les a mises en excellentes mains ; mais quand il s’agira d’exécuter, ne regrettera-t-on pas d’avoir égaré dans des entreprises d’un avantage problématique des moyens d’action réclamés par des besoins du premier ordre ?

J’ai parlé de ce qui saute aux yeux du voyageur qui, sur la vieille réputation de la ville de Rouen, vient y chercher des modèles de bonne administration. Pour n’y point éprouver de mécomptes, peut-

  1. C’est ici le lieu de rappeler que l’élément calcaire est le seul qui manque à la fertilisation du sol granitique de la Bretagne. De Rouen à Quillebeuf, les bords de la Seine sont une longue carrière de pierre à chaux : il n’y aurait donc jamais de voyages à vide dans le trafic entre Erquy et Rouen.
  2. La ville de Glasgow a donné à cet égard un grand exemple : depuis 1859, elle s’est définitivement approprié le lac Katrine, dont Walter Scott a fait la demeure de sa dame du lac, et les lacs Vennachar et Drunkie. Ces lacs communiquent entre eux ; la capacité totale en est de 40 millions de mètres cubes, et ils donnent par vingt-quatre heures à la population de Glasgow 227,000 mètres, ou à peu près 5 hectolitres par tête d’habitant. Le lac Katrine est à 110 mètres au-dessus du niveau de la mer, et, pour arriver à leur destination, ses eaux font un trajet de 55 kilomètres, dont 21 en souterrains. Les travaux ont duré quarante-deux mois et coûté 17,500,000 francs ; les expropriations et les indemnités aux entreprises qui desservaient auparavant la ville ont absorbé 37,500,000 francs, en sorte qu’un capital de 55 millions est immobilisé dans le système d’approvisionnement actuel.