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et un acte formel d’improbité. En revanche, l’ignorance où nous sommes des fautes ou des méfaits qu’ont pu commettre des artistes beaucoup plus éloignés de notre temps ne procure-t-elle pas assez souvent à ceux-ci le bénéfice d’une bonne renommée et à leurs œuvres une vertu d’élite ? Ils nous apparaissent à distance comme sanctifiés par le contraste avec les mœurs plus ou moins mondaines de leurs successeurs, de même qu’en rapprochant les témoignages de leur inexpérience des preuves d’habileté qui ont suivi, nous prêtons à ces esprits, en quête après tout et en travail, une sorte de quiétude systématique et d’imperturbable naïveté. On oublie ainsi que, par rapport aux tentatives précédentes, cette naïveté. avait toute l’audace de la création, cette expérience incomplète toute la valeur scientifique d’un progrès. Si manifeste que soit la part du sentiment religieux dans les travaux de peinture antérieurs au XVIe siècle, la part faite aux moyens d’expression, au perfectionnement des procédés techniques, n’y est pas non plus équivoque. À ceux qui seraient tentés de proscrire comme suspectes de paganisme les innovations introduites par Raphaël et par ses contemporains, on pourrait donc demander s’il n’y a pas aussi quelque arrière-pensée hérétique dans les efforts tentés par les quattrocentisti pour faire mieux ou autrement que leurs devanciers, les disciples de Giotto. Giotto à son tour mériterait-il une pleine confiance, lui qui ne craignit pas de répudier les pratiques consacrées et de donner carrière à ses instincts là où l’on n’avait su ou voulu formuler encore qu’une sorte de liturgie pittoresque à l’usage des initiés ? De proche en proche, on arriverait à n’accepter de l’art chrétien que ses origines, à n’attribuer de crédit qu’aux fresques des catacombes ou aux mosaïques byzantines, à juger en un mot de la signification religieuse d’une peinture sur ses imperfections mêmes et de son orthodoxie sur sa date. De leur côté, les peintres modernes, à l’exemple de leurs confrères les moines du Mont-Athos, devraient réduire leur tâche à une pieuse contrefaçon des images primitives, se réfugier dans l’archaïsme pour se préserver des erreurs ou des vanités humaines, et se raidir dans une attitude immobile de peur de faire fausse route en marchant.

De deux choses l’une pourtant. La peinture chrétienne n’est-elle, ne doit-elle être qu’un ensemble de signes abstraits, un mode d’ornementation muet et conventionnel où les personnages et les symboles évangéliques interviennent comme les oves ou les triglyphes dans les décorations architecturales ? ou bien a-t-elle pour objet d’attendrir notre cœur, d’encourager notre foi, de venir en aide, suivant les moyens qui lui sont propres, à la voix et aux enseignemens de l’église ? Dans le premier cas, nul doute qu’il faille admettre