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comme les lois mêmes du travail l’abnégation du sentiment personnel et l’immutabilité des formes ; mais si, au lieu d’une représentation purement symbolique, la peinture chrétienne a le droit et le devoir de figurer des faits, de vivifier des préceptes par l’image des réalités, il lui appartiendra aussi d’en approprier l’expression aux besoins particuliers d’une société et d’une époque. Il lui faudra, sous peine de compromettre gravement son influence, choisir des procédés de définition en rapport avec les mœurs actuelles de l’art, avec les justes exigences des esprits, et, sans varier sur le fond des vérités dogmatiques, renouveler du moins la méthode d’exposition et le style. Que dirait-on d’un orateur ou d’un écrivain qui, pour instruire le peuple des vérités de la religion, les lui prêcherait aujourd’hui dans la langue de saint Jean Chrysostome ou dans celle de saint Thomas d’Aquin ? Essayer de ressusciter la langue, morte aussi, des apôtres de l’art aux temps du bas-empire ou du moyen âge, ce ne serait ni une entreprise plus opportune, ni une prétention moins vaine. Je sais, — à n’envisager même que les conditions extérieures de la tâche, — l’importance des traditions et le danger de l’indépendance en matière de peinture religieuse ; je sais qu’il n’est pas possible de répudier certains exemples, de transformer absolument certains types, de changer même les couleurs de certains vêtemens, sans fausser en même temps le sens et la physionomie de l’œuvre, sans en détruire ce qu’il serait permis d’appeler la vraisemblance sacramentelle. Quoi de plus difficile en pareil cas, quoi de plus nécessaire pourtant que de concilier avec le respect à des lois fixes la franchise des inspirations, que de garder une juste mesure entre l’imitation servile et l’infidélité expresse, entre les banalités de la routine et les licences de l’invention ? De nos jours on y a réussi quelquefois, et nous pourrions citer à Paris même, dans les églises de Saint-Vincent-de-Paul et de Saint-Germain-des-Prés, dans d’autres monumens encore, des témoignages remarquables de cette habileté à ne trahir ni le respect dû aux souvenirs, ni les droits non moins légitimes du sentiment ; mais pourquoi ne pas choisir des exemples plus haut encore ? Parce que dans les œuvres appartenant au XVIe siècle la conciliation est à tous égards plus facile, l’effort scientifique moins marqué, faudra-t-il n’attribuer à ces œuvres qu’une signification bornée, une vertu superficielle ? Parce que, chez Raphaël, les apparences ont une beauté parfaite, devra-t-on crier à la profanation, condamner le fond en raison même de l’excellence de la forme, et faire porter à l’autorité morale du peintre la peine des séductions qu’exerce son pinceau ?

Non, tout est à aimer, à admirer, à accepter sans réserve dans ce qui nous vient de ce bienfaisant génie ; non, pour demander