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aux monumens de la peinture des émotions pures et de pieux conseils, il n’est pas nécessaire de remonter jusqu’à l’enfance de l’art, il n’est pas nécessaire de contempler, à l’exclusion du reste, les reliquaires ou les diptyques. Raphaël en Italie, comme plus tard Lesueur en France, est aussi saintement inspiré que le plus austère des peintres primitifs. Avec plus de naturel et de charme dans l’expression, il à la même sincérité dans le sentiment, la même certitude dans la pensée. Tout en poussant aussi loin que possible la recherche et la science du beau, lui et les autres grands maîtres de son pays et de son époque demeurent naïfs en face d’eux-mêmes, de leurs croyances, de leurs instincts. La preuve n’en est-elle pas dans la diversité de leurs travaux et dans la persévérance avec laquelle ils marchent vers un même but en suivant chacun une voie différente ? Que l’on préfère tel d’entre eux à tel autre, rien de mieux. Que l’on relève même chez quelques-uns certaines fautes contre le goût, certaines inégalités dans le style : de pareils reproches peuvent être formulés sans offenser sérieusement aucune gloire ; mais de grâce laissons là une bonne fois cette triste phraséologie en usage pour flétrir « le paganisme, le sensualisme, » toute la philosophie mensongère que recèlent, dit-on, les œuvres de Raphaël et des nobles artistes de son temps. Aussi bien la prudence commanderait-elle de ne pas insister sur des argumens qui, entre autres inconvéniens, ont eu déjà et auraient à l’avenir celui de ne convaincre personne. Jamais le bon sens public ne voudra s’accommoder de ce faux jansénisme pittoresque, de cette orthodoxie de fantaisie, de ce rigorisme à courte vue ; jamais on ne consentira, en face des peintures et des peintres du XVIe siècle, à ne trouver que les simulacres du bien dans ces chefs-d’œuvre, des génies suspects dans ces intelligences bénies, ou des comédiens dans ces poètes.

Quelle nécessité au surplus de sacrifier toujours une époque à une autre époque, des talens à d’autres talens ? D’où nous vient cette manie de n’admirer une œuvre ou une école qu’à la condition de déprécier ce qui l’avoisine ? Le propre de tout ce qui est beau est de subsister en soi, et les grands exemples du passé, si variés qu’en soient les termes, peuvent apparaître côte à côte sans se détruire réciproquement et sans se nuire. La gloire des écoles italiennes résulte de cette variété même, de ces dissemblances infinies que présentent, suivant les temps, les lieux ou la trempe particulière des talens, tant d’ouvrages exquis chacun dans son genre, tant de maîtres, dessinateurs ou coloristes, réussissant chacun à découvrir et à révéler une des expressions du vrai, une des formes de l’idéal. En Italie, nous le disions en commençant, l’art ne se développe pas sous l’empire de certaines doctrines une fois admises, sous