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au peuple et qui doivent faire impression sur lui. Aussi s’explique-t-on aisément que ce petit livre soit resté un livre de dévotion populaire dans le pays de Galles. On dit qu’il a fait souvent des fous parmi les lecteurs naïfs qui y cherchaient la crainte de l’enfer et l’affermissement de leur volonté dans la voie du salut, et ce fait est également très explicable. Les terreurs qu’il décrit sont toutes matérielles, et par cela même tout à fait propres à exercer une action puissante sur des imaginations soumises à toutes les crédulités de la chair. Elis Wyn appartient à la race des pasteurs qui ne savent moraliser que par l’effroi. Son livre est le modèle des livres de dévotion assez rares qui se proposent d’agir uniquement par la terreur. Il existe parmi les livres de dévotion catholique un petit écrit intitulé le Pensez-y bien, écrit assez habilement conçu et combiné, qui s’adresse aux mêmes sombres sentimens que le Barde endormi, et qui se plaît à faire résonner la même corde lugubre, la préoccupation de la mort et du jugement. Contrairement aux autres livres de dévotion, qui aiment à encourager la piété et la vertu par les exemples des saints et les légendes des morts heureuses des fidèles serviteurs de Dieu, celui-là se plaît à décourager et à terrifier le vice par les légendes des pécheurs et les morts maudites des pervers. Je ne sais quelle serait l’impression qu’il pourrait faire dans la chaleur de la jeunesse ou dans l’âge mûr, surtout chez un lecteur de certaines conditions ; mais je sais bien que l’impression de ce petit livre sur l’enfance est vraiment terrible, et laisse l’âme novice comme paralysée. Si la pensée d’un tel ouvrage fût tombée dans le cerveau d’un homme de génie d’une tournure d’imagination lugubre, il serait très facilement devenu un chef-d’œuvre. Point n’était besoin de trouver des matériaux de meilleur aloi ; ceux qui existent suffisaient, il n’y avait qu’à les mettre en œuvre. Quoi qu’il en soit de la valeur littéraire de ce livre, je donne hardiment le nom d’habile homme à l’auteur anonyme qui en a conçu la pensée ; il connaissait vraiment certaines susceptibilités de la nature humaine. Le livre d’Elis Wyn repose sur les mêmes élémens de terreur et s’adresse aux mêmes sentimens de crainte. Aussi l’appellerions-nous volontiers le Pensez-y bien des protestans, s’il n’y avait pas dans ses conceptions je ne sais quoi d’exclusif, d’étroit, et dans son accent quelque chose de tout à fait local qui le condamne, bien qu’il soit supérieur comme art à la plupart des livres de dévotion populaire, à ne pas sortir du lieu où il est né. Il ne peut exprimer d’une manière générale les sensations d’effroi dont nous avons parlé, et il lui est interdit de terrifier d’autres pécheurs que les pécheurs du pays de Galles.

Elis Wyri se préoccupe beaucoup de la médisance et du scandale, et il en fait volontiers les agens de discorde les plus puissans