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pas des dogmes à l’esprit ni des règles à la conscience, et ce n’est pas en elle qu’une société qui s’ébranle trouvera un appui. Dans la guerre sociale qui éclate bientôt, le petit George meurt d’une balle égarée.

Nous voici tout à coup en effet au milieu des horreurs de la révolution sociale. La transition est brusque et violente ; c’est une surprise dans le drame, comme elle le fut un peu aussi dans l’histoire. Le comte, désabusé par l’âge et la douleur, guéri de ses chimères sur le progrès du genre humain, a pris en main la défense de la société menacée, et cela n’a plus besoin de commentaires. Qu’on remarque toutefois que, dans cette nouvelle transformation, le héros ne garde pas moins le vice originaire de sa nature, le péché capital qui consiste à courir après les impressions au lieu de chercher la vérité, à se creuser l’imagination au lieu de scruter sa conscience. Cette guerre civile, il ne la regarde pas seulement comme un devoir poignant et fatal ; il se surprend parfois à en goûter la sauvage poésie, à se représenter d’avance les champs de bataille et les torrens de sang. C’est la sublime horreur du canon admirée au point de vue opposé. Son orgueil, latent jusque-là, éclate ici avec des lueurs sinistres. Il se plaît dans son rôle de titan, et on est souvent porté à se demander s’il ne s’exagère pas maintenant à plaisir la perversité de la nature humaine, comme il s’en est exagéré autrefois la perfectibilité indéfinie. Les dangers qui menacent la civilisation sont pourtant grands et réels, et la dissolution sociale est peinte avec des couleurs effrayantes. Il faut lire dans la Comédie infernale cette nouvelle nuit de Walpürgis à laquelle assiste de loin le comte Henri. Il faut lire ces saturnales de la tourbe affamée de meurtre et de pillage, dans laquelle notre héros distingue de vieilles connaissances, d’anciens compagnons de la « grande œuvre de l’avenir ! » Il faut parcourir tous ces tableaux de misère et de carnage au milieu desquels se détache une scène capitale, l’entrevue du comte Henri avec le chef des révoltés.

La plèbe aura beau haïr et maudire toute supériorité sociale, celle-ci n’en exercera pas moins sur elle une attraction mystérieuse et inquiétante. Dans la toile ingénieuse de Paul Delaroche, le Stuart décapité impose évidemment à Cromwell du fond de son cercueil ; il lui impose jusque par sa main blanche, longue et effilée, si adroitement rapprochée du poing rude et osseux du chef puritain. Rien d’étonnant donc si Pancrace éprouve le désir invincible de voir son aristocratique adversaire, de lui parler, s’il a même parfois la velléité de le sauver ; mais pourquoi le comte, de son côté, ressent-il une attraction égale et se prête-t-il à une entrevue dont il prévoit bien l’inutilité ? Hélas ! ce qui le pousse, c’est l’entraînement qui