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radicales, qui développait tout un plan d’exécution pratique. La proclamation du mois de juillet était envoyée par la poste aux ministres, aux dignitaires de la cour, à la police elle-même, dans les casernes, dans les écoles, à tous les journaux. Le gouvernement fut stupéfait de cette hardiesse, et l’affaire du Welikorus a été si habilement conduite qu’elle semble avoir échappé jusqu’ici à toutes les investigations de la police.

L’opposition sent donc croître tous les jours ses forces, et les partisans de l’ancien absolutisme, déconcertés par ce mouvement, y voient Un motif de plus de pousser à une réaction qui n’est inefficace à leurs yeux que parce qu’elle n’est pas assez entière. Tous les incidens qui se succèdent, ils les exagèrent même quelquefois, dans l’espoir de faire triompher leur politique, et leur habileté n’est pas toujours trompée. Lorsque les derniers troubles de l’université de Moscou éclataient il y a trois mois, l’empereur se trouvait avec la cour en Crimée, où il a passé une partie de l’automne. Les réactionnaires de Pétersbourg se hâtaient de l’informer de ces événemens, en les représentant comme l’épisode d’une vaste crise menaçante pour la dynastie elle-même. L’esprit de l’empereur Alexandre fut vivement ému, et il est resté sous le poids de cette idée, d’un grand péril révolutionnaire auquel sa dynastie venait d’échapper. Il a comblé de récompenses les généraux, les soldats qui ont marché contre les étudians de Moscou et de Pétersbourg, et les conseils de rigueur ont trouvé auprès de lui un accès plus facile. Ces derniers incidens, au reste, semblent avoir répandu une teinte de tristesse sur la cour de Russie. Au retour du voyage de Crimée, l’impératrice, en arrivant à Moscou, se rendait aussitôt à la chapelle du palais pour prier devant un tableau représentant une scène miraculeuse de la vie de la Vierge, et elle ne pouvait cacher ses larmes à ceux qui l’accompagnaient. C’est ce sentiment vague du péril, éveillé avec habileté dans la famille impériale, qui donne aujourd’hui une certaine force à la réaction en face d’un mouvement désormais trop étendu et trop vivace pour être facilement comprimé.

Spectacle étrange d’un vaste pays qui a vécu plus que tous les autres d’immobilité et de silence, et qui se réveille maintenant dans toute l’incohérence d’une crise de transformation ! Il se peut sans doute qu’il y ait parfois quelque exagération dans le sentiment des Russes sur leur propre situation et dans l’idée qu’on se fait de loin de tout un ordre d’événemens dont le mystère double la gravité. Une chose est certaine et apparaît à travers tous ces faits, toutes ces manifestations et tous ces symptômes : la résistance absolutiste n’est plus qu’un palliatif aussi périlleux qu’inefficace, et le régime maintenu pendant trente ans par l’empereur Nicolas avec une opiniâtreté qui toucha presque au génie devient désormais impossible ;