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même, Noé, Abimelech, Balaam, Job, ont prophétisé, au témoignage de la Bible. On voit des prophètes (juifs, il est vrai) envoyés aux nations étrangères, Ézéchiel à toutes les nations alors connues, Hobadias aux Iduméens, Jonas aux Ninivites. Entraîné par la logique, Spinoza ne craint pas d’ouvrir les bras aux prophètes de toutes les nations, à Mahomet lui-même, déclarant qu’au surplus, quoi qu’on pense de Mahomet et de ses oracles, qu’on soit chrétien, juif ou musulman, quiconque adore Dieu par la pratique de la justice et l’amour du prochain, l’esprit du Christ est en lui et son salut est assuré[1]. »

C’est dans ses lettres, il est vrai, que Spinoza s’exprime avec cette hardiesse et cette netteté. Il est plus réservé dans le Theologico-politicus. Rien même n’est plus curieux que d’entendre le disciple de Maïmonide déclarer que sa méthode à lui diffère essentiellement de celle de ses devanciers. « Maïmonide, observe-t-il, prétend qu’il faut expliquer l’Écriture en mettant le sens littéral d’accord avec la raison[2] ; mais après avoir dit cela, que fait-il ? Il donne pour interprète à la raison un certain philosophe grec nommé Aristote, et à l’abri de ce personnage il introduit dans la Bible mille subtilités profondément étrangères à la simplicité de cet antique monument. » — « Telle n’est point ma méthode, continue Spinoza. Je ne me sers pour interpréter la Bible que de la Bible elle-même. » Et en effet la Bible n’est point un traité de métaphysique ; elle a pour auteurs des hommes simples, étrangers aux raffinemens de la science, touchés d’une inspiration divine. Il n’y faut pas chercher des systèmes sur la nature et les attributs de Dieu. Tout y est d’imagination et de sentiment. C’est en prêtant leurs visions métaphysiques à la Bible que les nouveaux chrétiens l’ont défigurée et en ont perdu le sens primitif. « Selon moi, dit Spinoza, les hautes spéculations n’ont rien à démêler avec la Bible, et je déclare n’y avoir jamais appris ni pu apprendre aucun attribut de Dieu[3]. » L’objet essentiel de la Bible, ce n’est pas la science, mais la piété. Il faut la lire, non pour s’éclairer, mais pour s’édifier. Et de là Spinoza conclut que c’est une chose monstrueuse d’anathématiser et de persécuter les philosophes au nom de la Bible. La Bible n’est ni pour Platon,

  1. Lettre à Isaac Orobio, t. III, p. 426. — Rapprochons de ces paroles de Spinoza un passage de sa magnifique lettre à Albert Burg : « Oui, je le répète avec Jean, c’est la justice et la charité qui sont le signe le plus certain de là vraie foi catholique ; la Justice et la charité, voilà les véritables fruits du Saint-Esprit. Partout où elles se rencontrent, là est le Christ, et le Christ ne peut pas être là où elles ne sont plus. » T. III, p. 451.
  2. Traité théologico-politique, ch. VII, p. 147 et suiv.
  3. Lettre à Blyenberg, t. III, p. 409.