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les mêmes exceptions que Maïmonide en faveur de Moïse[1]. Ne vous y fiez pas cependant. Je ne sais si Maïmonide était parfaitement sincère en abritant sa libre exégèse derrière une exception pour Moïse : Dieu seul sonde les reins et les cœurs ; mais pour Spinoza, c’est une autre affaire. Ne craignez de celui-là aucune restriction mentale, aucun scrupule de prudence. Si dans son Traité théologico-politique ayant annoncé qu’il n’interpréterait la Bible que par la Bible elle-même, et poursuivant un grand dessein, celui d’affranchir la philosophie dans l’état en la dégageant de la théologie, si, dis-je, Spinoza a parlé du Christ comme en parle l’Évangile, il n’a pas laissé que de faire entendre sa pensée. Ainsi, quand Il appelle Jésus-Christ la sagesse divine incarnée, il ajoute : Je veux dire une sagesse plus qu’humaine ; cela signifie que Jésus-Christ est un homme à part, un homme supérieur à tous les hommes, et c’est à ce titre que Spinoza lui rend, lui Juif et persécuté, un sincère et courageux hommage. « Mais quant à ce que disent certaines églises, écrit-il à son ami Oldenburg, que Dieu a revêtu la nature humaine, j’aimerais autant dire que le cercle a revêtu la nature du carré[2]. » Ceci est clair, Spinoza ne fait d’exception pour aucun miracle, pour aucun prophète. Il nie la révélation, le miracle, la prophétie, non pas sur tel ou tel point, dans tel ou tel passage, comme ses maîtres juifs, mais partout, mais toujours, dans le Nouveau Testament comme dans l’Ancien, dans Moïse, dans Jésus-Christ, sans aucune réserve et sans aucune exception.

Tels sont les rapports et telles sont les différences de Spinoza et de Maïmonide, considérés celui-ci comme l’initiateur de l’exégèse rationnelle, celui-là comme l’homme qui l’a reprise avec une hardiesse et une vigueur singulières et l’a poussée à ses plus extrêmes conséquences.


III

Considérons maintenant ces deux personnages, non plus comme des Juifs qui raisonnent sur la Bible, mais comme des métaphysiciens

  1. Comp. Traité théologico-politique, ch. Ier et IV, et Guide des Égarés, partie IIe, pages 277, 288.
  2. Lettre à Oldenburg, t. III, p. 307. — Dans une autre lettre, Spinoza s’explique aussi clairement, quoique avec moins de crudité. « Est-ce que vous croyez, écrit-il à Oldenburg, quand l’Écriture dit que Dieu s’est manifesté dans la nue, ou qu’il a habité dans le tabernacle, ou dans le temple, que Dieu s’est revêtu de la nature de la nue, de celle du temple ou du tabernacle ? Or Jésus-Christ ne dit rien de plus de soi-même : il dit qu’il est le temple de Dieu, entendant par là, je le répète encore une fois, que Dieu s’est surtout manifesté dans Jésus-Christ. Et c’est ce que Jean a voulu exprimer avec plus de force encore par ces paroles : le Verbe s’est fait chair. Soyez sûr que tout en écrivant son Évangile en grec, Jean hébraïse pourtant. » (Tome III, p. 373.)