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point partager son admiration pour Maurice, et comme elle sentait que je la blâmais, elle réagissait naturellement contre moi. Il ne fut pas question de lui, et son nom ne fut même pas prononcé ; mais à la gêne évidente que nous éprouvions tous les deux, on eût dit qu’il était en tiers invisible entre nous. Nous parlâmes de Richard, de son travail assidu, de ses sérieuses qualités. — Comment ne l’aimerais-je pas ? me dit-elle. Il est si bon ! — Je la quittai fort attristé ; quand une femme n’aime plus son amant que parce qu’il est bon, elle est bien près de ne plus l’aimer. Je m’affligeai en pensant à Richard ; je redoutai pour lui de nouvelles peines et le découragement qu’elles devaient amener. J’en arrivai à ce point de désirer que l’aveuglement de sa tendresse lui fermât si bien les yeux qu’il pût traverser cette crise sans la deviner.

Les choses me parurent demeurer assez longtemps dans cet état, et je commençais à espérer, ou que Geneviève sortirait victorieuse de la lutte qu’elle devait avoir engagée avec elle-même, ou que Maurice, attiré vers d’autres plaisirs, abandonnerait cette séduction lente dans laquelle il se complaisait, lorsqu’un jour d’hiver, traversant les quinconces des Tuileries, vers cinq heures, par un temps de brouillard, je vis deux ombres qui marchaient dans la brume à petits pas devant moi. Je reconnus Maurice ; il donnait le bras à une femme enveloppée d’un grand châle, et lui parlait bas, penché vers elle. Je ralentis mon allure pour ne point les dépasser. Ils s’arrêtèrent, se tenant par la main ; la femme s’inclina vers Maurice, qui lui donna un baiser sur le front, et, prenant sa course, elle passa près de moi sans me voir : je reconnus Geneviève. Maurice m’aperçut, me salua avec beaucoup d’aisance et s’éloigna.

Le jeudi qui suivit cette rencontre, Maurice ne vint pas à notre réunion habituelle. Geneviève était tellement absorbée que plusieurs fois Richard s’approcha d’elle, pour lui demander si elle ne souffrait pas.

— Non, je n’ai rien, — répondait-elle invariablement.

Elle étouffait ses soupirs avec peine et restait rêveuse, regardant la lumière de la lampe avec une fixité machinale. Lorsque je partis, elle me serra la main par un mouvement plus pressant, et qui paressait contenir ce je ne sais quoi qui ressemble à un adieu. Je la regardai avec surprise ; elle baissa les yeux et eut un sourire forcé en me disant : — A jeudi prochain, n’est-ce pas ?

Je revins effectivement le jour indiqué, et je fus surpris de n’apercevoir du dehors aucune lumière à travers le vitrage de l’atelier. Je sonnai trois fois inutilement ; le portier me dit que Richard avait été obligé de quitter Paris, mais que son absence ne serait que de courte durée. Moi-même, je partis le lendemain pour la campagne, où je restai quinze jours. Dès mon retour, j’allai voir Richard. Son