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d’y pourvoir, d’autant plus que le troisième vingtième, établi provisoirement en 1782 pour subvenir aux frais de la guerre, avait cessé d’être perçu à la fin de 1786. Le ministère essayait de reprendre sous une autre forme ce troisième vingtième en proposant à chaque province d’augmenter d’environ 40 pour 100 le produit des deux vingtièmes existans, qui rapportaient en tout 55 millions. Il s’agissait donc d’une vingtaine de millions à répartir sur toute la France. Les provinces dont nous avons parlé jusqu’ici avaient consenti sans difficulté après avoir obtenu une réduction sur le chiffre. La Normandie se montra un peu plus récalcitrante. Pour forcer la main aux provinces, on avait annoncé l’intention de faire exécuter dans toute sa rigueur, en cas de refus, l’édit de 1749 sur le mode de perception des vingtièmes. L’assemblée de Rouen riposta par un arrêt du parlement rendu lors de l’enregistrement de l’édit, et qui contenait de telles réserves que l’exécution en devenait à peu près impossible dans la province ; elle finit cependant par céder sur le principe et se borna à gagner du temps. L’assemblée de Lisieux offrit 150,000 liv. d’augmentation ; celle de Caen, 350,000 livres, ou la moitié environ de ce qu’on lui demandait. Alors comme aujourd’hui, la Normandie était une des provinces les plus riches, et quoiqu’elle se plaignît de l’exagération des impôts, elle pouvait supporter sans peine ce léger surcroît.

Avant de se séparer, l’assemblée prit une délibération pour demander que le siège de la commission intermédiaire fût placé à Saint-Lô, comme la ville la plus centrale de la généralité.

L’institution des assemblées provinciales avait donc pleinement réussi dans les trois généralités de l’ancienne Normandie, comme dans la plus grande partie du royaume, quand se répandit la nouvelle de la résistance qu’elle rencontrait sur un petit nombre de points. Des événemens que nous raconterons en leur lieu, car nous sommes forcé d’exposer successivement ce qui se passait à la fois, avaient éclaté en Auvergne, en Franche-Comté, en Provence et surtout en Dauphiné. Les têtes se montèrent en Normandie comme partout, et la physionomie générale y changea complètement dans le cours de l’année 1788. Des publications parurent pour comparer le régime des assemblées provinciales avec celui des anciens états ; les souvenirs du duché souverain de Normandie se réveillèrent[1]. Au lieu d’institutions octroyées par la couronne, on réclama, comme existant de plein droit, des libertés depuis longtemps éteintes. Au lieu de trois généralités distinctes, on prétendit ne former comme

  1. Parallèle des assemblées provinciales de Normandie avec les anciens états, par Delafoy ; Rouen 1788. — Constitution de l’ancien duché et état souverain de Normandie, par le même ; Rouen 1789.