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dans la ville les troupes ameutées et qui sont en marche pour acclamer Alexandre Severus ; il fera avancer contre elles les prétoriens restés fidèles, et pendant que ces deux armées s’entr’égorgeront, il lâchera les esclaves, les gladiateurs, les barbares, et « les confesseurs du prophète nazaréen. » La mêlée sera grandiose, la dévastation générale, et il en sortira la ruine de Rome et la paix des successeurs d’Auguste. Héliogabale est fasciné par cette poésie du néant ; le frère d’Elsinoé lui paraît un Prométhée qui a su ravir le feu du ciel. Il le nomme préfet du prétoire, remet en ses mains les insignes du commandement et lui confie la fortune des césars.

L’unique et grave souci d’Iridion n’est plus que du côté des chrétiens, ces « confesseurs du prophète nazaréen, » dont on vient s’entendre pour la première fois prononcer le nom, mais qui ont été depuis longtemps l’objet de la sollicitude du fils de la vengeance, car Masinissa lui avait prédit que du sein de ces sectaires pourrait venir le seul danger d’une seconde renaissance de Rome. À part même cette sinistre prévision, la société chrétienne doit nécessairement entrer dans les calculs de celui qui veut réunir tous les élémens de l’empire pour les déchaîner contre l’empire lui-même. Obscure, méprisée, persécutée et menant une vie souterraine, la communauté nouvelle ne s’est pas moins recrutée de tout ce que le monde d’alors recelait de vivace, aussi bien parmi les Romains que parmi les Barbares ; elle a grandi, elle est devenue une force imposante. Déjà Alexandre Severus a dû compter avec elle ; il s’est fait chrétien. Le fils d’Amphiloque, lui aussi, s’est affilié à ces adorateurs d’un Dieu crucifié ; il s’est fait baptiser. Iridion pour les Grecs, Sigurd pour les Germains, pour eux il s’appelle Hiéronymus ; mais c’est seulement un signe extérieur et un nom qu’il leur a empruntés. Il n’a rien compris à leurs dogmes mystiques, et leur doctrine de résignation et de pardon ne fait que l’irriter ; il reconnaît vaguement que de là naîtra pour lui la plus dangereuse des résistances. Il ne désespère pourtant pas d’enchaîner cet élément rebelle. Il prend confiance en voyait poindre dans l’âme des plus jeunes, au milieu des sentimens de charité et de pardon, de secrètes et involontaires malédictions, contre les bourreaux.

Après la Rome du Forum et des palais, c’est ici la Rome des catacombes. L’histoire et la poésie se sont plu maintes fois à opposer ainsi l’empire du Christ à l’empire des césars, la pureté des chrétiens primitifs à la corruption abjecte du paganisme expirant, et elles en ont tiré une glorification du vrai Dieu qui, pour être éclatante, ne manquait pas moins d’équité. La comparaison ne serait équitable en effet, que si en face du monde nouveau dans toute la plénitude de sa vigoureuse jeunesse et dans la pureté de ses origines