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de rares exceptions, sauf de malheureuses tentatives bientôt abandonnées, le sentiment universel parmi nous a été que la France devait s’interdire toute autre intervention que celle des bons avis et des conseils amicaux. Le gouvernement français paraît avoir compris, respecté et partagé ce sentiment, si, comme tout l’indique, il s’est borné à faire savoir à Londres qu’il blâmait l’agression, à Washington qu’il conseillait d’en accorder réparation. Cette attitude ne saurait être trop approuvée.

La complète neutralité est si difficile à observer, les belligérans sont si disposés à voir méconnues les obligations qu’elle impose qu’il est nécessaire, dans la position où la France se trouve placée vis-à-vis de l’Amérique, de veiller avec soin sur les apparences elles-mêmes. Il arrive sans cesse que deux pays en guerre croient l’un et l’autre avoir à se plaindre des neutres. C’est un puissant motif pour que le gouvernement impérial apporte à tous ses actes une prudence extrême. De quelque côté que se produise une déviation des règles du droit maritime tel que la France le reconnaît et l’observe, il convient, dans l’intérêt de son repos, de sa dignité, de son influence, qu’elle ne compromette en rien la grande situation qui lui est faite. Elle pèsera plus dans la balance, elle aura sur les événemens une action plus décisive par sa neutralité que par une intervention à laquelle rien ne saurait l’engager, et qui ne lui laisserait que le choix de la faute à commettre. Le gouvernement français agira donc dans un sens aussi conforme aux vœux qu’aux intérêts du pays en continuant à rester étranger aux divisions intestines de l’Amérique et aux querelles qu’elle aurait avec d’autres états. Il saura se tenir en garde contre le penchant à l’immixtion dans les affaires d’autrui, dont le résultat le plus ordinaire est de coûter fort cher à l’intervenant, ne lui laissant pour prix de ses sacrifices que des embarras et des mécomptes, sans même lui valoir la reconnaissance de ses obligés.

C’est à tous égards un malheur pour la France que la guerre civile d’où l’Union ne peut sortir telle qu’elle existait avant de s’y engager. Ce résultat tristement inévitable ne compromet pas seulement nos intérêts commerciaux ; il peut affecter l’avenir de nos alliances ; il peut déplacer les chances de luttes futures entre les puissances maritimes. La fédération américaine pesait d’un grand poids dans l’équilibre européen ; son influence devait suffire, en plus d’un cas, pour prévenir des ruptures, et, par un heureux contraste, devenait ainsi, en des mains passablement agitées, une garantie pour la paix du monde. Aussi nul homme sensé parmi nous n’a vu sans une douloureuse émotion la rupture du pacte fédéral et le commencement d’une scission qui, quel qu’en soit le dernier