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figuiers, des lentisques, non en buisson comme ceux de Tamaris, mais en arbre, des caroubiers magnifiques, des aristoloches et des smilax qui s’enlacent avec fureur autour des jujubiers : c’est gai, c’est fier, et tout sent bon.

Au revers d’une colline, j’ai retrouvé en masse l’arbuste nain qui t’intriguait tant au cap Mouret, une passerine, si j’ai bonne mémoire. Un omnibus me remporte en compagnie de quatre Mauresques, de deux petites filles déjà jeunes filles et de deux poupons nus dans des burnous roses. Ces dames cachent soigneusement leurs nez, mais elles montrent leurs bras, qui sont beaux, et leurs seins, ni plus ni moins que des nourrices normandes. Les petites filles me regardent fixement avec des yeux d’un noir de velours, surmontés de sourcils à l’encre de Chine. J’entends qu’une d’elles se nomme Flissa. Tout cela est grave et craintif ou dédaigneux ; mais je perds ma canne qui s’enfuit par l’omnibus défoncé, et voilà des rires inextinguibles, des rires qui font voler sur moi les puces dont ces houris sont couvertes.

J’ai déjà pu voir le même mélange, de gravité et de gaieté exubérante chez les Arabes. Assis majestueusement en rond et fumant leurs pipes comme s’il s’agissait de trouver au bout de cette méditation la quadrature du cercle, ils semblent au-dessus du destin des empires, et on pourrait croire qu’ils seraient à peine dérangés par la chute d’un astre : mais qu’un âne mal bâté vienne à passer, tous se lèvent, courent, crient, gambadent et grimacent comme une bande de singes. Puis les voilà tout d’un coup replacés en rond, assis, fumant, aussi sérieux qu’auparavant ; leur figure de marbre a repris son immobilité.

Mlle  Wertheimber a eu son triomphe hier soir, c’est aujourd’hui le tour de Mme  Cabel. C’est un concert qu’on lui donne, et elle y fait sa partie. On crie : « Vive Marie Cabel ! » avec enthousiasme.

18 mai. — Ce matin l’ovation continue : le peuple français est entassé sur la place. Mme  Cabel va partir. Elle paraît dans une calèche découverte, pavoisée et tout ornée de fleurs. Le capitaine du navire qui va l’emmener est assis auprès d’elle et salue la foule. Est-ce qu’il a chanté ? Mme  Cabel envoie des baisers à son peuple. Le navire a hissé son pavillon et déployé toutes ses flammes et banderoles. Elle monte à bord et part dans toute sa gloire ; mais gare le mal de mer tout à l’heure !

Je monte en omnibus pour aller à douze kilomètres d’Alger voir la Maison-Carrée. Un Français dit, en passant sur le pont de l’Harrach, que c’est là un pont romain. Au moment de descendre dans le village, un Kabyle qui avait paru dormir, et qu’on supposait d’ailleurs ne pas entendre un mot de français, dit d’un ton péremp-