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décomposition, qui fait souvent des siennes. Là, il a fallu s’arrêter ; on répare la route, qui a été se promener au fond de l’abîme. Les voitures ne passent pas encore. Nous retournons à Blidah pour y coucher. Salem, en recevant mes cinq francs de gratification, ouvre, en signe de joie et en guise de bourse, une véritable gueule de four, où, faute de poches, il serre son argent, au risque de ne l’y pas retrouver.

Ce que nous avons vu aujourd’hui est admirable, couleur et forme, charme et terreur, fraîcheur et puissance, tutto bono !

Les singes habitent un certain vallon qui s’appelle « Cascade des singes ; » mais ils n’ont pas daigné se montrer à nous, non plus que les chacals, les sangliers et les panthères de la plaine. Quant à celles-ci, c’eût été une bonne fortune d’en apercevoir : elles sont devenues très rares.

29 mai. — Trois heures de sommeil l’autre nuit à Alger, celle-ci deux heures à peine ; le chant des grenouilles, le pas des patrouilles et de deux sentinelles qui ont monté la garde de chaque côté de la rue, mais surtout la férocité des puces africaines, ne m’ont pas laissé dormir une minute de plus. Après avoir visité la ville et les alentours, je suis revenu à Alger par Douera, grand village et petites maisons sans caractère.

Koléah, 30 mai.

Je vais à Koléah. La voiture ne part qu’à trois heures. J’entre au musée d’histoire naturelle, qui est assez important, bien tenu, et intéressant en produits indigènes.

Nous partons. — Staouëli, premier champ de bataille des Français en Algérie. C’est aujourd’hui un couvent de trappistes ; mais les trappistes de nos jours ne labourent pas eux-mêmes : c’était bon du temps de saint Bruno, le zélé. Ils font cultiver et surveillent.

Nous laissons à droite la route de Sidi-Ferruch, lieu de débarquement de la flotte française en 1830. Nous passons le camp de Zéralda, aujourd’hui un village, et nous suivons les collines du Sahel. La nature est grandiose, quoique sans arbres. De vastes éminences de terre rouge couvertes de broussailles, où dominent les chênes-kermès, les lentisques et les oliviers sauvages. À distance, ces arbustes serrés font l’effet d’une prairie ; mais dès qu’on y pénètre, la vue est enfermée comme dans un taillis.

Le temps se gâte ; nous apercevons çà et là des parties éclairées de la Mitidja à travers un nuage gris transparent, et au-dessus une dent bleu sombre du Petit-Atlas. Vers le soir, le ciel se débrouille, nous descendons de notre véhicule, qui rappelle le Cour-