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écartés, qu’on ne peut se promener sans en traverser quelque vestige. C’est à se demander si on est sur la terre des vivans et s’il n’y a pas plus de sépultures que d’habitations. Au reste, ces tombes plébéiennes ont plus de poésie que celles des riches, qui, avec leur vêtement de faïence et leur forme carrée, ressemblent assez à nos fourneaux de cuisine. Il est vrai que certaines sépultures romaines sont aussi prosaïques. Tu te rappelles, dans les catacombes découvertes près de Rome par Pietro, cette tombe dite, je crois, des choristes, carrée, basse et ornée de petits couvercles fermant des jattes pleines de cendres ; elle ne ressemblait pas mal aussi à un fourneau de cuisine ou à quelque chose de plus humble encore.

La coutume antique d’enterrer les gens d’importance au bord des routes a régné également ici. On rencontre quelquefois des tombes isolées que la tradition même n’explique pas. Voici à distance des sépultures bien autrement curieuses sur la terre africaine. Sur les plateaux montagneux de Baïnam, que nous apercevons entre nous et la mer, s’élève une centaine de véritables dolmens. On suppose qu’une légion armoricaine a laissé là ses os ; mais ici tout est mystère, et je ne me charge pas d’expliquer.

Les gourbis qui s’éparpillaient sur l’autre arête du mont ne nous laissaient voir que leurs toits de branchages enfouis dans les cactus. Le gourbi ou la hutte de paille de l’Arabe cultivateur est l’analogue de nos chaumières de paysan ; mais ici la vie est moins compliquée, et le climat dispense de bien-être, étant lui-même un bien-être assuré. — Lits, chaises, tables, armoires, l’Arabe ignore ou dédaigne tout cela ; il dort et mange par terre, sur une natte, et partage son toit avec ses animaux domestiques ; enfans, poules, cochons et chiens vivent là pêle-mêle en bonne harmonie.

Après avoir joui de la belle nature par-dessus les ondulations du Sahel, — toute la plaine de la Mitidja jusqu’au Petit-Atlas et à la Chénoua, la mer à perte de vue, six cents lieues carrées de pays chaud et lumineux, — nous avons descendu par le côté du Frais-Vallon, gorges et ravins profonds, très boisés, hauteurs nues, mais toujours vertes. Une grande déchirure verticale au flanc de la Bouzarea éclairée par le soleil couchant était d’un effet merveilleux.

Le soir, nous sommes allés prendre le kaoua (café) chez Zohrah ; elle était en costume d’intérieur, pantalon court en soie rayée, chemise transparente, ceinture, un petit corset d’argent qui serait trop court de taille pour un enfant de deux ans, une grande fouta de satin toute brochée d’or, mouchoir rouge et noir tombant sur le dos et assujetti à la tête par un ruban noir qui en fait quinze ou vingt fois le tour, une paire de bas blancs bien tirés et par-dessus les bas une paire de chaussettes roulées un peu plus haut que la cheville, un