Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pressive, voix douce et timbrée. Il chante sans savoir la musique, à ce qu’il prétend, et il chante bien. Il remue sans cesse, c’est un feu d’artifice. On sent en lui l’homme qui ne doute de rien, l’homme d’aventures et le héros. Je dirais volontiers que c’est un Murat africain ; mais c’est un type plus original encore, car il y a en lui du mysticisme. Nous nous sommes quittés avec de grandes poignées de main, moi très content de lui et assez frappé.

Ce soir, un tour au café de la Perle, vieille réputation d’Alger. C’est un café chantant de province, et rien de plus.

145 juin. — Ce matin, débarquement des zouaves arrivant de l’expédition de Syrie. Que de figures hâves et brûlées par le soleil ! Ils sont superbes, ces gaillards-là. Les zouaves et les chasseurs d’Afrique vont les recevoir sur le port ; c’est une joie, un bonheur de retrouver les camarades, qui va se traduire en nopces et festins.

À deux heures, cérémonie des fiançailles dans une riche maison juive. La fête des noces durera d’un samedi à l’autre. Le mariage aura lieu jeudi. Les billets d’invitation sont en langue française et en arabe avec l’écriture hébraïque. Dans la cour, servant de salon, au rez-de-chaussée, soixante personnes sont déjà réunies. Une table est dressée : assiettes de gâteaux d’amandes et de miel, biscuits de Savoie, orgeat et anisette ; trois ou quatre verres, six cuillers de vermeil. Les dames juives en grand costume d’apparat, étoffes de velours, de soie, de satin broché d’or ou d’argent, avec tous les bijoux imaginables et d’une valeur sérieuse, sont assises gravement et parlent peu. Les enfans roux et vermeils, c’est-à-dire teints au henné joues et cheveux, crient et font un bruit d’enfer. Deux musiciens jouent chacun d’un instrument, le violon et la mandoline ; un troisième fait résonner la darbouka. C’est une cruche de terre dont le fond est couvert d’une peau. Un quatrième, un enfant, secoue un tambour de basque.

On me fait monter à la galerie, asseoir, boire du sirop et manger des sucreries, après quoi on me conduit vers la mariée, qui était dans sa chambre et qui n’en a pas bougé. C’est une petite dodue assez gentille et d’un type juif accentué. Quoi qu’on m’en ait dit, je n’ai pas trouvé les Juives d’Alger belles. Les hommes sont généralement communs. Les garçons d’honneur, élégans de cette classe, étaient singulièrement vêtus : culotte de zouave, bas bleus, souliers vernis, ceinture bleue ou noire, veste turque à petits boutons, tantôt vert pomme, tantôt jaune, amarante, bleu de ciel ou rose ; par dessus, un gilet français à la dernière mode, chemise à raies ou à pois, cravate de couleur, cheveux longs et casquette en velours noir, à visière. Les vieillards portaient le costume juif un peu modifié et ressemblant au costume maure, sauf le turban, qui est noir.