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main, et qui demandent un ingénieux arrangeur plutôt qu’un écrivain, Qui aurait pu croire par exemple que la décadence s’attaquerait au genre du libretto d’opéra ? Cependant le fait est réel. Comparez les libretti d’opéra et d’opéra-comique contemporains aux libretti que nos habiles arrangeurs dramatiques fournissaient, il y a trente ans, aux grands musiciens de notre époque, et vous serez frappé de la pauvreté, de la maladresse et de la stérilité de ces prétendus poèmes. Rien n’est d’ordinaire plus anti-musical, et c’est vraiment un miracle que l’artiste puisse de temps à autre adapter une mélodie aux situations et aux caractères que lui présente l’arrangeur dramatique.

Longtemps, au milieu de ce naufrage général, l’art du comédien a seul subsisté. La pièce était mauvaise, mais l’acteur était excellent ; un Frédérick-Lemaître, une Marie Dorval, une Rachel, une Rose Chéri, faisaient oublier la vulgarité du spectacle qu’ils interprétaient. Il restait à résoudre une question très délicate et très curieuse : l’art du comédien pouvait-il vivre indépendant de la littérature dramatique ? pouvait-il subsister longtemps en dépit de la décadence de cette littérature ? L’expérience à fini par prouver que l’art du comédien était plus solidaire de la littérature dramatique qu’on n’avait voulu le croire, et qu’il ne pouvait longtemps rester sain et robuste lorsque cette littérature était malsaine et décrépite. La contagion l’a donc atteint à son tour, et le voilà qui devient maladif et malingre, ou qui gagne au contact d’un théâtre immoral des plaies honteuses dont il se fait un titre de gloire. Plus de genres dramatiques, plus de pièces, bientôt plus d’acteurs ! L’indigence est aussi complète que possible. Pour peu que cette situation continue, il ne restera plus aux directeurs qu’à mettre les clés sous les portes de leurs théâtres, ou bien à transformer les scènes qu’ils gouvernent en entreprises industrielles d’un genre non encore décrit. Patience, nous y arriverons ; la métamorphose est en train de se faire, et on peut déjà, de la chrysalide dramatique à demi brisée, voir sortir le papillon aux ailes de gaze et à la robe pailletée de clinquant qui est destiné à réjouir par les évolutions de son vol équivoque les regards des modernes spectateurs.

Une telle crise, si profonde, si durable, si contagieuse, pourrait inspirer bien des réflexions sur ses causes et ses effets. En tout cas, il est un enseignement que les hommes sont trop prompts à oublier, et qu’elle s’est chargée de rappeler à nos contemporains : « ’est combien le talent est une chose rare et combien il est difficile de s’en passer. Jamais les théâtres n’auraient été plus prospères qu’aujourd’hui, si une bonne administration et de grosses recettes suffisaient pour leur donner la vie et le mouvement, car jamais ils