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eux, vous les connaissez depuis vingt ou quinze ans au moins. Si l’hypothèse de Saint-Simon se réalisait seulement à moitié, la plupart des théâtres de Paris seraient obligés de fermer leurs portes ou de se résigner à faire jouer leurs principaux rôles par des comparses. Pour se rendre un compte exact du péril qui menace l’art dramatique contemporain, il faut prendre non tel ou tel théâtre en particulier, mais les théâtres en général, et compter les renommées nouvelles qui se sont élevées, je ne dis pas depuis deux ans ou trois, mais depuis dix ans, et dans quelque genre que ce soit.

Hélas ! combien sont rares celles de ces renommées qui sont fondées sur un mérite véritable. J’en ai compté jusqu’à cinq en parcourant les différens théâtres de Paris, et sur ces cinq, chose assez curieuse, quatre sont des renommées féminines. Pourquoi n’écririons-nous’ pas hardiment ces noms, les seuls noms nouveaux qui de près ou de loin aient quelque rapport avec l’art dramatique ? Si quelqu’un peut remplacer au Gymnase Mine Rose Chéri, c’est assurément Mlle Victoria. Sa sensibilité ardente, sa mimique passionnée, à la fois ingénue et hardie, en font une des actrices les plus originales du théâtre contemporain. Mlle Emma Fleury est la meilleure recrue que le Théâtre-Français ait faite depuis longtemps ; son jeu étudié, soigneux, indique un talent éminemment perfectible, plus capable cependant de monter degré par degré les échelons de son art que de les franchir d’un seul bond. Mlle Thuillier est une actrice pathétique qui sait communiquer au spectateur quelque chose des émotions physiques et cruelles dont Mme Dorval avait le secret, Une vraie comédienne dans un genre déplorable, une comédienne d’un jeu plein de verve et d’invention, la vive et espiègle Mlle Alphonsine, soutient presque à elle seule l’honneur de ces théâtres de vaudeville que peuplaient naguère encore tant d’acteurs excellens. Quant aux théâtres du boulevard, ils seraient vides pour l’art depuis la retraite de Frédérick-Lemaître, quoiqu’ils soient remplis de renommées bruyantes et populaires, s’il ne s’y rencontrait un acteur excellent, M. Paulin Ménier. C’est bien un comédien de l’époque présente. Il comprend exactement le mélodrame comme d’autres comprennent la poésie, la critique et la philosophie. Son talent, net, réfléchi, minutieux et exact, rappelle les méthodes de l’école positiviste et réaliste. Il joue vraiment comme M. Taine analyse, et l’on dirait que ce qui le préoccupe c’est de trouver le trait dominant du caractère qu’il est chargé de rendre, comme la préoccupation du jeune philosophe est de trouver la faculté dominante de l’écrivain qu’il étudie.

Dans cette stérilité toujours croissante du théâtre, il ne faut pas s’étonner si le moindre bruit s’entend et si le moindre grain de mil