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que dans l’état de célibataire. Qu’il se laisse ennuyer, piller et insulter par ces parasites qui se décorent du nom d’intimes, ce n’est pas ce qui nous étonne, car la résistance ne convient pas à cette nature bienveillante, qui ignore même le soupçon ; mais comment Mme Caussade permet-elle que sa maison se transforme en caravansérail vulgaire ? Il n’est pas possible que ces importuns et ces envieux lui plaisent beaucoup, et dès lors comment n’élève-t-elle pas la voix une seule fois pour faire entendre, sinon les colères d’une Mme Jourdain, au moins les répugnances d’une femme bien élevée ? Il est vrai que M. Sardou a une excuse toute prête à nous présenter ; il peut nous dire : Mme Caussade a bien autre chose à faire pour le moment qu’à s’inquiéter des intimes de son mari ; elle est assez occupée à caresser et à réprimer tour à tour l’amour naissant qu’elle éprouve pour le jeune Maurice, un autre ami de la maison, qui, sans crier gare, s’empare de la femme de son protecteur. L’excuse serait bonne, si la bienveillance et la facilité de M. Caussade, qui sont les vices originels de son caractère, n’étaient pas plus anciens que l’amour de Cécile pour Maurice ; mais elle connaissait les travers de son mari longtemps avant de ressentir cette velléité amoureuse : comment donc n’a-t-elle jamais essayé de réagir contre eux et de mettre un peu d’ordre dans cette maison, qui est à la merci du premier passant ?

L’amour naissant de Mme Caussade pour Maurice forme le nœud qui réunit les diverses parties de cette comédie assez mal cousue. C’est à cette passion que la pièce doit cette scène capitale du troisième acte dont nous avons déjà parlé, et qui est bien la scène la plus scabreuse que l’on ait jamais mise au théâtre, au moins à notre souvenir. La nuit est arrivée : Caussade, averti par les perfides intimes, a feint un départ précipité, et Maurice, qui ne soupçonne rien, profite de l’absence du mari pour s’introduire dans la chambre de Cécile. Il pousse les verrous, ferme les portes à clé, casse les cordons de sonnette, détruit l’un après l’autre tous les moyens de secours. Le spectateur a sous les yeux toutes les péripéties d’un duel amoureux des mieux caractérisés. La lutte s’engage presque corps à corps, les paroles d’amour arrachées par le délire se mêlent aux imprécations et aux menaces d’une résistance désespérée. La scène est aussi réelle que possible, et, comme pour en augmenter encore l’effet, Mlle Fargueil la joue avec une énergie, une violence et une crudité qui ne laissent presque rien à désirer au spectateur. Cette scène, qui n’a pas d’analogue même dans les drames les plus violens de M. Alexandre Dumas, était capable de faire tomber la pièce ; c’est elle qui en a fait le succès. Elle pouvait révolter et soulever le spectateur, elle ne le choque même pas. Voilà