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trahir au dernier moment ce parti-pris général d’incrédulité à l’égard d’une solution favorable. Parmi les dépêches déposées à Queenstown par l’Europa, il en était une adressée à une maison de Paris qui est une des premières maisons de finance et de commerce du monde. Cette dépêche, confiée au télégraphe, annonçait en termes concis que les prisonniers seraient rendus : elle fut le jour même communiquée, nous ne savons comment, à deux journaux « indépendans et dévoués ; » mais ce qui est bizarre, c’est que le Moniteur ne fut point édifié sur l’origine de cette communication. L’infirmant par une contradiction implicite, le journal officiel détruisit pendant vingt-quatre heures la confiance très fondée qu’elle avait fait naître dans le public : tant on a eu de peine jusqu’à la fin à croire le gouvernement des États-Unis capable de prendre avec autorité une résolution fondée sur le bon sens et sur la justice !

L’enseignement que nous tirons de ces regrettables erreurs, c’est que l’opinion en Europe et les gouvernemens doivent de justes réparations au gouvernement de l’Union américaine. Aux yeux de l’Europe, trop peu impartiale et trop défiante, ce gouvernement a fait maintenant ses preuves de modération, d’équité, de consistance et de force morale. Nous n’avons plus le droit de considérer l’état de choses créé au sein de l’Union américaine par la funeste révolte du sud comme une anarchie incurable, indigne des sympathies et des ménagemens des nations étrangères. La parfaite convenance des concessions promptement accordées par M. Sevvard, les vues élevées par lesquelles ces concessions sont justifiées dans la remarquable dépêche du ministre américain, interdisent à l’Europe de laisser plus longtemps flotter au hasard son jugement sur les affaires d’Amérique.

Ne nous y trompons point : l’opinion de l’Europe, l’opinion de la France et de l’Angleterre surtout, peut avoir une grande influence sur l’apaisement prochain ou la prolongation indéfinie de la guerre civile américaine. Il importe à l’honneur comme aux intérêts de la France et de l’Angleterre de ne point faire un mauvais usage de l’influence d’opinion qu’elles peuvent exercer sur la révolution déchaînée aux États-Unis.

Il existe, nous ne l’oublions pas, de notables différences dans les positions respectives de la France et de l’Angleterre vis-à-vis des États-Unis. La France n’a aucun intérêt, même apparent, au démembrement de l’Union américaine ; au contraire, elle a l’intérêt commercial, maritime et politique le plus manifeste à voir les États-Unis continuer à prospérer et à grandir sous la forme à laquelle ils ont dû leur rapide et magnifique développements N’ayant pas d’ailleurs avec le peuple américain communauté d’origine et de langue, elle n’est point exposée à soutenir contre lui ces incessantes disputes qui naissent des longues querelles de famille. La situation de l’Angleterre à cet égard, jugée d’un point de vue superficiel, diffère de la nôtre. Suivant les maximes de l’ancienne politique, qui cherchait partout des antagonismes et plaçait la force de certains états dans l’affaiblissement des autres, il semblerait que les Anglais auraient de quoi se consoler de la