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catastrophe de la république américaine. Prétendant à la suprématie des mers, ils se verraient ainsi débarrassés de la rivalité d’un peuple qui a toujours paru vouloir leur tenir tête sur leur propre élément. Enveloppant le monde de leur commerce, ils s’affranchiraient d’une concurrence mercantile qui les inquiète. Une autre cause d’antagonisme apparent entre eux et les Américains, c’est qu’ils sont de même race et parlent la même langue. Quand on lit les discussions de presse sans cesse engagées entre l’Amérique et l’Angleterre, on est frappé de l’influence que la communauté de langage et d’origine exerce sur la véhémence des polémiques que les deux peuples soutiennent l’un contre l’autre. On dirait la lutte de deux partis plutôt que la controverse entre deux nations, et l’on sait que les luttes de partis au sein d’un même pays se portent à des violences de langage qu’on se permet rarement vis-à-vis d’un peuple étranger. Dans ces altercations perpétuelles, chacun apporte cette énergie de parole que nourrit l’habitude invétérée de la liberté, et cette robuste vigueur de la race saxonne, renforcée d’un côté par le go ahead américain et de l’autre par le mépris du gentleman et du scholar anglais pour la vulgarité de manières et le patois du Yankee ; mais en y regardant de plus près on voit qu’il ne faut pas attacher une grande importance au pugilat des journaux des deux pays. En creusant les intérêts de l’Angleterre, tels que les apprécie la politique qui prévaut depuis trente ans chez nos voisina, on s’aperçoit que la solidarité des intérêts économiques l’emporte justement à leurs yeux sur de prétendues rivalités d’intérêts politiques, et l’on peut affirmer en définitive que l’Angleterre, sinon pour des intérêts identiques, du moins pour des intérêts d’égale importance, a d’aussi puissans motifs que la France de souhaiter la grandeur et la prospérité des États-Unis.

Il est certain que le parti qui a organisé la séparation des états du sud a compté sur le concours de l’opinion en France et en Angleterre. Ce parti a espéré que la France et l’Angleterre reconnaîtraient la confédération du sud. Cette espérance fait encore à l’heure qu’il est sa plus grande force. Devons-nous lui laisser plus longtemps cette illusion et l’encourager ainsi dans une obstination calamiteuse ? Telle est la question qui se pose plus nettement qu’au début de la lutte, car il est plus aisé aujourd’hui de discerner les élémens et les conséquences de la guerre civile américaine.

On ne peut plus maintenant se méprendre en Europe sur les forces relatives du parti de l’union et du parti de la sécession. La supériorité incontestable des ressources et des forces est du côté de l’union. On avait pu croire au début que les états du nord et le parti qui est arrivé au pouvoir avec M. Lincoln, surpris par une insurrection longuement préparée par le gouvernement conspirateur de M. Buchanan, seraient impuissans à réunir des moyens de gouvernement suffisans pour soutenir la lutte. On avait pu le croire surtout, quand on vit l’armée de volontaires rassemblée à la hâte pour couvrir la capitale de la république s’évanouir par la panique de Bull’s Run ; mais on n’en est plus maintenant à ces malheureux commencemens :