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le port des bruyères et qui exhalent une odeur très douce. Une de ces grappes prise à part ne sent rien ou presque rien, la haie entière sent bon. Il en est ainsi de la véritable bruyère blanche arborescente, qui, au mois d’avril, embaume tous les bois du pays.

J’avais pris une barque pour aller par mer à Tamaris. C’est le plus court chemin quand le vent est propice. J’abordai à la côte juste au pied de la bastidette de M. Pasquali. Je trouvai un homme entre deux âges, d’une aimable figure, d’une grande franchise et d’une obligeance extrême. Il avait peu connu le vieux parent dont j’héritais. — C’était une espèce de maniaque, me dit-il ; il ne sortait plus depuis longtemps, et vivait là avec une espèce de fille naturelle…

— Qui a droit, je le sais, à la moitié du petit héritage. Il n’y aura pas contestation de ma part. Si elle veut acquérir l’autre moitié, je ne lui ferai certes pas payer ce qu’on appelle la convenance. C’est pour savoir en toute équité la valeur de cette portion de terrain que je suis venu vous consulter.

— Eh bien ! puisque vous êtes un bon garçon et un honnête homme, je prendrai les intérêts des deux parties. Cela vaut quinze mille francs. Mlle  Roque a de quoi payer comptant une portion de la somme. Avec le temps, elle acquittera le reste.

— C’est une honnête personne ?

— Vous ne la connaissez donc pas ?

— Pas plus que je ne connais la propriété.

— Vous n’êtes pas curieux !

— On m’a dit que l’endroit était triste et laid, et quant à la fille, j’aurais cru manquer au savoir-vivre en allant faire une sorte d’expertise chez elle.

— Oui, vous avez raison ; je vois que La Florade m’avait dit la vérité sur votre compte.

— Vous connaissez donc La Florade ?

— Pardieu, si je le connais ! il est mon filleul. Un charmant enfant, n’est-ce pas ? une diable de tête ! Mais à son âge je raisonnais un peu comme lui ! Me voilà vieux, j’aime la pêche, je m’y donne tout entier. Vous, vous aimez la science. Au bout du compte, chacun en ce monde court à ce qui lui plaît, et il n’y a que les hypocrites qui s’y rendent en cachette.

Là-dessus le franc marin me força d’accepter un verre d’excellent vin où il me fit tremper un pain frais de biscuit de mer. — Je n’ai pas d’autre gala à vous offrir, me dit-il, car je n’ai pu aller à la pêche ce matin. Il y avait encore trop de ressac dans mes eaux. Il faut aussi vous dire que je ne couche presque jamais ici. J’ai ma demeure au port de La Seyne, à une demi-heure de marche, sur