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L’exemple des pairs, deux fois vainqueurs dans leurs conflits avec la royauté, ne sera pas perdu pour les communes. Malgré la protestation royale qui le couvre, le favori est accusée Sir John Eliot se lève et prend la parole contre le « nouveau Séjan. » Un des chefs d’accusation impliquait Buckingham dans le prétendu empoisonnement de Jacques Ier. Feignant de croire qu’Eliot a voulu reporter jusqu’à lui cette odieuse insinuation, Charles le fait saisir, ainsi que Digges, l’autre commissaire, et les envoie à la Tour. À l’exemple des lords, et décidées à lutter contre ces caprices tyranniques, les communes déclarent ne plus vouloir siéger, si on ne leur rend les deux prisonniers. Le roi cède encore ; Eliot et Digges redeviennent libres ; mais le premier est marqué : tôt ou tard la vengeance royale saura l’atteindre. « Il appelle Séjan mon plus cher ministre. Me prend-il donc pour Tibère ? » avait dit Charles en parlant d’Eliot. Quant à Digges, il est corruptible, on l’achètera.

Nous voudrions que le cadre de cette étude se prêtât à quelques détails sur l’intéressante figure de sir John Eliot, espèce de La Boëtie anglais, grave, instruit, patient, énergique. Son intrépidité, sa constance stoïque jamais ne se lassent. Il n’est poussé par aucune ambition, retenu par aucune crainte égoïste. Toutes chances lui seraient données de grandir, à côté, de Buckingham, dont il fut l’ami, l’obligé, dit-on[1]. Il préfère une lutte dangereuse où on le verra persévérer jusqu’à la mort, inébranlable dans ses convictions et leur sacrifiant sans emphase, sans regret, toutes les conditions d’une belle et heureuse existence.

Cependant un mot grave a été prononcé parmi tant de vaines paroles ! Charles a dit à cette seconde assemblée, qui lui marchande les deniers du pays : « Rappelez-vous que je suis maître des parlemens ; je les appelle, je les garde, je les renvoie à mon gré. Ainsi, selon que je les verrai porter ou non de bons fruits, ils continueront ou cesseront d’être (they were to continue or not to be). » Le pouvoir absolu, s’affirmant ainsi à une époque où il était la règle, et pour le clergé officiel tout entier un article de foi religieuse, avait de quoi, faire hésiter les plus braves. Buckingham n’en reste pas moins accusé. L’affaire s’engage, mais sans attendre que les communes aient pu se prononcer, Charles les brise encore une fois. « Un roi, leur

  1. Les plus minutieux détails sur ce vaillant champion de la liberté ont été réunis dans un ouvrage où on ne s’attendrait pas à les trouver, les Commentaires d’Isaak Disraeli. Ils sont évidemment donnés dans l’intention de l’amoindrir, mais ils le grandissent, et il est impossible de lire la correspondance privée de sir John Eliot soit avec son ami Hampden, soit avec les fils dont l’avait séparé sa captivité, sans être pénétré d’une respectueuse admiration. On la trouvera dans l’Appendix de ce compendieux plaidoyer en faveur de Charles Ier ; éd. Baudry, p. 535.