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sont les écueils du genre. Le genre n’en reste pas moins bon en soi et très digne d’être encouragé.

Pour qui sait lire, un simple dossier, même fort embrouillé et fort incomplet, est plus vivant et plus instructif souvent qu’un clair et lumineux exposé, où l’auteur n’a pas su faire parler les pièces du procès. La correspondance des hommes publics renferme ce qu’on chercherait en vain dans les mémoires même les plus désintéressés : les faits, tous les faits, à leur date exacte, dans leur succession ou leur simultanéité, les faits avec la couleur qu’ils avaient le jour où ils se sont passés, les impressions quotidiennes des acteurs, leurs prévisions, leurs espérances, leurs anxiétés, leurs hésitations, toutes ces crises morales qu’ils oublient souvent eux-mêmes lorsqu’ils se regardent à distance et qu’ils dissimulent presque toujours lorsqu’ils posent devant la postérité. Les correspondances sont indispensables à l’historien non-seulement pour reconstituer le squelette de l’histoire, mais pour le revêtir de chair et le faire revivre aux yeux du public. C’est au moyen des correspondances diplomatiques que M. Mignet a fait jouer devant nous les mobiles et les ressorts de la politique extérieure de Louis XIV. C’est au moyen de piquantes correspondances, où la galanterie se mêle aux affaires d’état, que M. Cousin a composé ces charmans et savans tableaux de la société française à l’époque de Richelieu et de Mazarin, autour desquels les belles dames et les érudits, les gens du monde et les politiques, s’empressent avec une égale curiosité. Excité par l’exemple de tels devanciers, M. Camille Rousset vient nous donner aujourd’hui l’histoire militaire de la France pendant les seize plus brillantes années du règne personnel de Louis XIV, racontée d’après la correspondance inédite de Louvois avec Condé, Turenne, Luxembourg, Créqui, Schomberg, d’Estrades, Vauban, d’Avaux, etc., les généraux, les diplomates auxquels nous devons la Flandre et la Franche-Comté.

Voir et entendre ces personnages si originaux et si divers, les voir non point avec les déformations et les grossissemens presque monstrueux que leur fait parfois subir la puissante lentille de Saint-Simon, mais directement, à l’œil nu, comme si l’on avait été l’un d’entre eux, tel est le plaisir qu’on trouve constamment dans l’Histoire de Louvois, et ce plaisir que M. Rousset donne à ses lecteurs, on sent qu’il l’a très vivement éprouvé lui-même en préparant et en écrivant son livre. Il aime son sujet et il y est à l’aise. Son récit est vif, clair, facile, ému. L’odeur de la poudre et le bruit du canon l’animent comme un mousquetaire ; les abus de l’administration lui sont aussi familiers qu’à un intendant ; les réformes lui tiennent à cœur comme à Louvois. Il parle des moin-