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core naïvement « que les Hollandais pussent être endiablés à ne pas faire la paix. » Inquiet de leur obstination inattendue et de leur cortège non moins imprévu d’alliés, il se révoltait cependant à la pensée de leur rendre Maestricht, seul moyen de dissoudre la coalition formée par eux contre Louis XIV. « Le roi, écrivait-il à Courtin, céderait aussitôt Paris et Versailles que Maestricht, » mot terrible et insensé qui rappelle celui de Napoléon à lord Whitworth, au moment de la rupture de la paix d’Amiens : « J’aime mieux vous voir en possession des hauteurs de Montmartre que de Malte. » Louis XIV eut du moins sur Napoléon cet avantage de n’être pas pris au mot par les événemens.

Ce qui faisait de Louvois un très dangereux conseiller politique pour Louis XIV, c’était ce qui faisait de Louis XIV un roi très dangereux pour la France. Louvois et Louis XIV se ressemblaient trop et ressemblaient trop à la France par leur confiance illimitée dans les forces militaires du pays et par leur insolent dédain pour l’étranger. M. Rousset a quelque indulgence pour ce penchant si français, et qui n’en aurait, si les forces avaient été aussi illimitées que la confiance, si le dédain n’avait conduit à l’humiliation ? Qui ne serait touché de cet accord avec la fibre nationale, si ce trop complet accord n’avait compromis l’honneur et les intérêts de la nation ? Modérer les instincts naturels sans les révolter, c’est le premier devoir des ministres envers les rois et des rois envers les peuples, devoir si difficile que rois et ministres prennent habituellement le contre-pied.

Nous avons généralement du goût pour ceux qui nous surmènent. D’où vient donc l’incontestable impopularité du nom de Louvois ? Beaucoup plus du bien que du mal qu’il a fait. « C’est pour avoir attaqué avec hardiesse les vices répandus dans l’armée française, nous dit M. Rousset, que le nom de Louvois a été le plus maltraité par l’opinion de son temps, complice égarée des officiers de tout grade, depuis le maréchal de France jusqu’au simple cornette, que l’inflexible ministre rangeait impérieusement à leur devoir : injustice flagrante, qui n’aurait pas dû survivre, et qui a survécu aux passions des contemporains ! » La plupart des jugemens qui courent dans le public sur Louvois sont en effet de tradition, et de tradition suspecte. Les uns ne veulent voir en lui qu’un « monstre d’égoïsme, contre lequel toutes les suppositions sont permises, un homme sinistre, un esprit infernal. » D’autres croient le dépeindre tout entier en répétant la formule de l’abbé Vittorio Siri : « le plus grand commis et le plus grand brutal qui fut jamais. » Epithètes déclamatoires ou formule étriquée, tout cela est également faux. À ce Louvois de convention, construit tout d’une pièce, qui ne rit jamais