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en respectant la propriété militaire, il contraignit les propriétaires à remplir toutes leurs obligations. La solde fournie par le roi et les contributions levées sur les communautés astreintes au logement des gens de guerre étaient insuffisantes pour donner aux capitaines le moyen d’acquitter les charges qui pesaient sur eux. N’importe ; s’ils voulaient continuer à servir, il fallait que leurs compagnies fussent au complet, que leurs hommes fussent nourris, chaussés et vêtus. L’habillement uniforme n’était pas prescrit : Louvois tenait peu à ce qui n’était que de parade ; mais tout ce qui dans l’équipement était essentiel, indispensable au service, il l’exigeait des officiers ; s’ils tardaient à s’exécuter, le ministre faisait les fournitures pour leur compte sur leurs appointemens saisis. L’uniformité de l’armement et de la manœuvre était de rigueur. Malheur à ceux qui prétendaient se soustraire à cette règle ! Ils étaient cassés et « prenaient chemin d’aller se reposer à la Bastille. » D’actifs et zélés surveillans épiaient leurs moindres fautes. Aux commissaires des guerres et aux intendans, qui avaient pour mission d’exercer un contrôle administratif sur les chefs de corps, Louvois ajouta des officiers inspecteurs, chargés « d’informer le roi de l’état des troupes, si elles faisaient l’exercice bien ou mal, de faire entendre aux officiers les soldats qu’ils devaient garder ou changer, les réparations qu’il fallait qu’ils fissent aux armes et habits de leur compagnie. » Par exception, le roi consentait quelquefois à entrer pour une part dans la dépense de ces réparations ; pendant les mois de campagne, il fournissait toujours le pain et le fourrage moyennant une retenue sur la solde. Partout où marchaient les troupes, les subsistances marchaient après elles. Louvois ne voulait pas que les vivres pussent leur manquer un seul jour ; il ne voulait pas, même lorsqu’il faisait ravager et dépouiller la Hollande, que le soldat fût contraint à vivre de maraude, parce que la maraude tue la discipline, et que l’indiscipline tue les armées. La bonne organisation des magasins fut l’un de ses plus puissans moyens d’action pour rendre les troupes obéissantes, alertes et disponibles. Toujours abondamment pourvues, elles pouvaient, en toute saison, marcher et agir sur un signe du roi.

Nous avons cherché à indiquer en peu de mots la portée et le caractère des réformes accomplies par Louvois. Nous ne pourrions les raconter en détail sans nous écarter du plan de cette étude. Dans un excellent chapitre sur les institutions militaires de la France sous Louis XIV, M. Rousset a étudié complètement l’œuvre de Louvois, et c’est dans son livre tout entier qu’on apprend ce que l’armée française, réorganisée par ce grand ministre, était capable de faire, la merveilleuse variété d’aptitude à laquelle elle était parvenue, le