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vif par les Anglais. Nous en faisons le tour. L’Afrique vue de là est grandiose. Digne façade à un continent que ces puissantes masses de montagnes aux grandes ombres bleues ! Le détroit, de douze milles marins, paraît si resserré qu’on s’imaginerait le franchir d’un bond. Une boîte aux lettres dans une borne en fonte au bord de la route, le rocher éclairé au gaz du haut en bas, les promenades en cab des habitans des cottages, voilà ce qu’on trouve en se retournant vers l’Europe. Malgré ces airs de civilisation anglaise, malgré ces innombrables trous noirs percés dans le roc et remplis de canons qui montrent la gueule aux passans, tout semble bien petit et presque niais quand on vient de jeter un dernier regard sur la terre des Numides.

Sur la digue de sable, à un kilomètre de la ville, une rangée anglaise de guérites noires et de factionnaires rouges ; à cinq cents pas plus loin, une rangée espagnole de guérites blanches et de factionnaires bleus. Le terrain neutre entre les deux territoires est un grand pâturage nu et brûlé. Le soldat anglais est propre, astiqué, raide. Placé en sentinelle, il doit regarder la mer sans distraction. Un officier passe derrière lui, il présente les armes à la mer. Tous les soldats portent un étui de calicot blanc sur leurs coiffures, et presque tous les fashionables un morceau de mousseline roulée en turban pour se préserver de l’ardeur du soleil.

Tetuan, 27 juin.

Je croyais avoir fait mes adieux à l’Afrique, j’ai l’agréable surprise de voir que nous allons encore lui rendre visite. Nous revenons un peu sur nos pas, nous allons à Tetuan. Partis ce matin vers cinq heures, nous arrivons à l’embouchure de l’Oued-Marta à sept heures et demie. On descend la Mouche de ses palans, on la met à l’eau, on lui chauffe le ventre, et nous remontons la rivière Oued-Marta afin de gagner Tetuan, qui est à environ douze kilomètres dans les terres. La Mouche peut contenir quinze personnes, y compris le mécanicien et les deux matelots. Elle tire très peu d’eau, et, gouvernée par le prince, passe à travers les rivières sablonneuses avec une dextérité charmante. On ne s’inquiète pas du soin de prendre un pilote. La marée, qui se fait déjà sentir dans la Méditerranée aux alentours du détroit, nous pousse dans la rivière. Des pêcheurs nous dirigent un peu du rivage par leurs gestes pour nous empêcher de nous engraver. La Mouche évite adroitement les obstacles, franchit en un instant la partie navigable de l’oued et nous débarque au poste espagnol.

Là on trouve par hasard une voiture du temps de Louis XIV, l’idéal du coche d’Auxerre, six mules. Ferri enfourche un cheval de