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se prolonge jusqu’aux collines, gradins avancés de la montagne. Comme paysage, même caractère que Ceuta. Ferri et moi nous débarquons les premiers pour aller au consulat de France. Nous traversons une population indigène qui, au lendemain d’une partie perdue contre les Espagnols, ne paraît pas très flattée de voir nos figures de roumis. Nous sommes en plein Orient, chez les descendans des Beni-Merins, tribu berbère qui chassa du Maghreb les Arabes. La ville est très caractérisée, entourée de longues murailles. Nous mettons pied à terre au milieu des rochers, défense naturelle de l’entrée du petit port, lequel est défendu en outre par deux fortins garnis de longs canons. De petites maisons basses à un étage, toutes penchées et déjetées, appuient leurs ruines aux flancs des palais ou des mosquées aux minarets élancés. Des rues étroites, tortueuses, dépavées et d’une malpropreté incroyable. Dans une poussière épaisse, on marche sur des débris de toute sorte, — pots cassés, vieilles chaussures, cornes de bélier, carcasses d’animaux : tout cela répand des odeurs fades ou nauséabondes. Un soleil ardent cuit le tout. Dans la grande rue, qui sert de marché, bordée de boutiques, de cafés borgnes, de marchands de légumes et de fruits, grouillent des troupeaux de moutons, des ânes, des crieurs de brimborions, juifs ou marocains ; des enfans demi-nus jouent dans cette poussière infecte. Ici un homme, en gandoura jaune et noire, porte en équilibre sur ses épaules d’énormes jarres d’eau. Là une femme misérable passe enveloppée d’un grand haïk raide et sans plis. Quelques malheureux aux jambes monstrueuses, cas d’éléphantiasis assez fréquens, marchent lourdement sur les pavés pointus. Plus loin, une rangée de chiens maigres regarde d’un œil langoureux un mouton écorché sur l’étal d’un boucher. C’est d’une belle couleur : on se croirait au milieu des tableaux d’Eugène Delacroix. Partout l’œil est ébloui des tons qu’il affectionne : de l’orange à côté du vert véronèse, du rouge en opposition avec le vert émeraude, des jaunes rayés de bleu, des tuniques blanches sur des tuniques rouge cerise ou bleu verdâtre, des piles de babouches de maroquin rouge ou vert clair à côté des tas d’oranges et de citrons.

Le costume des habitans de Tanger ne ressemble pas à celui des Arabes d’Algérie : pantalon étroit jusqu’aux chevilles, chemise sans manches, en soie de couleur voyante, recouverte d’une tunique de soie, de laine ou de coton blanc, fendue sur le côté et descendant jusqu’aux genoux ; la tête est enveloppée d’un énorme turban terminé en pointe ; un fin burnous blanc drapé d’une façon particulière rehausse le tout. Les soldats de la garde, dont quelques-uns sont ici au service du gouverneur, — le prince Muley-Abbas, frère de l’empereur, — ont un grand air avec leurs faces brunes à longues mous-