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rizon et à bien me convaincre de la morne tristesse de cette grande campagne brûlée, riante au printemps peut-être, mais à coup sûr désolée en ce moment-ci, avec son fameux Guadalquivir déroulé comme un grand serpent endormi dans la plaine, quand La Guéronnière, qui m’avait devancé au sommet de la Giralda, redescend en me criant : Los toros ! los toros ! Il avait vu la foule se ruer du côté du cirque.

Courons vite prendre un échantillon de couleur locale ! Nous redescendons à tire-d’aile ; nous nous orientons à vue de nez, nous trouvons la foule, nous la suivons. Essoufflés, nous nous précipitons avec rage dans une porte béante ; mais un hussard espagnol à cheval et le sabre en main nous ferme l’entrée et réclame nos billets. — Où les prendre ? — Là-bas dans la rue ! — Enflammés d’ardeur, nous repartons, nous jouons des coudes et nous approchons du guichet, tremblant d’arriver trop tard ; mais au moment de prendre les billets, je regarde au-dessus du grillage l’affiche enluminée, toute remplie de taureaux éventrant des coursiers, de picadores enlevés par des cornes redoutables et sautant à dix pieds en l’air, de matadores plongeant leurs bonnes lames de Tolède dans l’échine des monstres couchés sur la poussière. — O réclame ! au milieu de cette alléchante représentation de prodiges, qu’ai-je vu ? Un farceur d’hercule portant sur son épaule le fameux canon de bois qui a fait plus de bruit que de besogne à Paris, — l’homme-canon en un mot ! — L’homme-canon tout seul ? s’écrie La Guéronnière indigné. — Oui, monsieur, que vous faut-il de plus ? — Les taureaux ! m’écriai-je à mon tour, los toros ou la mort ! — Bah ! les courses sont finies depuis quinze jours, revenez l’année prochaine. — Désappointés et honteux, nous revenons flânant par trente-deux degrés de chaleur, et regardant d’un œil abattu les jolies femmes à nez retroussé, car elles ont le nez retroussé, et elles ont plus de physionomie que de beauté, les fameuses Séviglianes !

Ce soir, bonne musique militaire et rendez-vous de tout le beau monde sur la promenade en face de la funda de Londres où nous logeons. On se couche dans des lits comfortables, mais on est réveillé à tout quart d’heure par les serenos qui vous déclarent à tue-tête qu’il fait chaud. Eh ! parbleu ! nous le sentons bien.

1er juillet. — Parti tout seul dès le matin, je cours au bord du Guadalquivir. Il y a des noms fantastiques qui nous font tous penser. Ce fleuve, baptisé par les Maures d’Espagne Oued-el-Kebir, n’est-il pas dans toutes les jeunes imaginations romantiques, comme le Tibre dans les rêves classiques de l’enfance ? J’ai vu le Tibre : hélas ! Dirai-je après le Guadalquivir : holà ? Ma foi, c’est une déception pire. On peut être un ruisseau étroit et fangeux quand on n’a que