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et orné de velours et de houppettes, l’œil vif, la cigarette aux dents, le paysan andalous marche d’une manière tant soit peu théâtrale devant ses grands chariots attelés de bœufs roux. Ces fiers et graves animaux sont coiffés d’un frontal élevé comme un obélisque, en paille tressée de bandelettes de drap rouge et bleu. Le bouvier porte son aiguillon comme une lance et se pavane auprès de son attelage avec la fierté d’un chevalier sarrasin qui se prépare à la joute. En somme, son costume est celui du classique Figaro, mais resté simple et débarrassé de tous les enjolivemens de soutaches, broderies, aiguillettes et grelots, dont se couvrent aujourd’hui exclusivement les toréadors.

On repart ce soir pour La Caraque. Les voitures manquent un peu à San-Fernando. Nous en profitons, le docteur Yvan et moi, pour aller coucher à Cadix, chacun dans une chambre d’auberge grande comme une église, avec des portes à deux battans qui ne ferment pas. C’est pour nous donner de l’air avant de rentrer dans nos cabines de bord : mais les serenos et les punaises troublent las delicias de l’Andalousie.

Lisbonne, 4 juillet.

Avant-hier à Xerez, rien d’intéressant, sinon des caves immenses fournissant le nectar du pays au monde entier. Ville cruellement mal pavée. Le Guadalete, autre fleuve à romances, est pauvre et encaissé. Je fais connaissance avec la cigogne. C’est la première fois que je vois en liberté l’oiseau des grands voyages, l’oiseau porte-bonheur. C’est toute une poésie, soit qu’il se tienne immobile sur le haut des édifices, soit qu’il se perde comme une blanche étincelle dans les abîmes de l’air.

Hier à La Caraque ; le yacht est prêt, grâce à six cents ouvriers de bon vouloir qui ont consenti, quoique Espagnols, à travailler le dimanche. Nous voyons une immense comète. Est-ce celle de Charles-Quint ? Nous quittons donc La Caraque le 3, à quatre heures du soir. Nous passons devant Cadix. La mer est belle, nous filons douze nœuds.

Nous doublons le cap Saint-Vincent à six heures du matin. La mer est devenue assez grosse, elle s’apaise à midi. Depuis le cap Saint-Vincent, grande falaise couronnée d’un phare et d’une chapelle, les côtes, rocailleuses par endroits, sont sans majesté aucune. Une grande plage de sable au cap Spichel, une grosse montagne, arrondie comme un tumulus, isolée au loin.

À cinq heures, nous entrons dans le Tage. L’entrée est large et belle, les collines petites à droite et à gauche, sans seconds plans plus élevés. Les faubourgs de Lisbonne s’étendent très loin vers la