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ou vingt-cinq centimètres. J’ai été me promener sur l’unique route du pays. Le terrain est noir, délayé, glissant. Ailleurs il tremble et s’affaisse sous les pas. C’est un vaste marécage, les céréales n’y poussent pas, et les pommes de terre non plus. L’eau suinte de partout. Les collines qui entourent les marais sont couvertes de grands tapis de mousse et de lichen gris qui rebondissent sous les pieds comme des matelas. Ces collines sont des roches granitiques qui supportent des micaschistes et des porphyres. J’ai cueilli pour toi quelques jolies plantes, la parisette à cinq feuilles et à fleurs blanches, une espèce de petit iris bleu à feuilles de graminée d’un charmant effet (bermudienne ancipitée), une airelle rose très délicate et une potentille blanche des plus mignonnes ; mais la plante la plus recherchée ici, bien qu’elle croisse à l’état sauvage, c’est le mathé (ledum lalifolia, je crois), dont on prend la feuille en infusion comme du thé. L’arbrisseau est joli, grappes de fleurs blanches, feuille longuette d’un vert sombre à bords roulés en dessous et doublée d’un épais velours fauve. L’odeur en est très agréable et très particulière, sui generis s’il en fut ; mais la morue sent bien plus fort et règne en maître dans l’atmosphère.

J’ai trouvé deux ou trois pauvres carabes, et j’ai vu voler quelques abeilles tout engourdies, une petite phalène grise que j’allais saisir, quand un coup de vent me l’a emportée au diable.

Malgré le porphyre qui abonde, toutes les maisons sont bâties en bois. On trouve cela plus chaud ; c’est possible, mais ne te figure pas d’élégans chalets : elles n’ont qu’un étage très bas, la forme est laide, et la couleur du bois mouillé n’est pas belle. La ville est bâtie au fond d’une anse ; le port, plein de récifs et de bas-fonds, est peu sûr ; les rues larges en sable boueux, les trottoirs en planches, la population sans individualité. Tout cela n’est pas récréatif ; mais nous ne sommes pas pour y finir nos jours. Nous partons à six heures du soir.

Cap-Breton, 20 juillet.

Nous sommes rentrés dans la brume, et nous avons navigué de confiance toute la nuit, pensant marcher sur le Cap-Breton. À huit heures du matin, le brouillard se déchire en deux, et nous voyons la terre à un mille devant nous. Il était temps d’y voir clair et de s’arrêter. « Voilà comme on atterrit ! » dit tranquillement le commandant. En effet c’était hardi ; mais des pêcheurs nous apprennent que nous sommes dans la baie de Cabarrus. Les courans nous avaient entraînés ; nous remontons la côte jusqu’à Louisbourg. C’est une ancienne ville française, bombardée en 1762 par les Anglais. Il ne reste de notre colonie canadienne que des ruines, où des pêcheurs