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un appétit de requin. Je ne sais s’il appréciait les mets, ou si, en véritable Indien, il ne songeait qu’à se bien remplir pour une huitaine de jours. Les sauvages repus et congédiés, le général anglais est venu avec ses aides-de-camp et des voitures chercher le prince et son monde pour faire une promenade. Au bout de trois pas, nous étions, presque sans nous en apercevoir, avec voitures et chevaux, sur le pont d’un immense bac à vapeur qui nous transportait de l’autre côté de la baie, en compagnie de jeunes misses en robes d’été, petits chapeaux andalous, des fleurs plein les mains, la mine fort piquante et bien éveillée. Du bac, nous filons de plain-pied sur une route de sable au milieu des bois de la Nouvelle-Écosse et le long des petits fiords qui s’enchaînent gracieusement les uns aux autres. Les collines aux flancs rocailleux portent des tapis de fougères pâles coupés de bouleaux et de sapins très pressés, de mélèzes et d’érables en beaux massifs. Pas d’oiseaux, pas de papillons. Je suivais en vain de l’œil les buissons de kalmia rose, charmant arbrisseau de nos jardins, très commun ici à l’état rustique : je n’ai rien vu voler.

Ces charmans fiords sont en hiver le rendez-vous des patineurs et des jeunes misses, habiles, dit-on, et gracieuses dans cet exercice. Dans les bois que nous parcourons, beaucoup de perdrix jaunes et blanches, des tétras, des lièvres blancs, etc. Tu penses bien que, courant à fond de train dans les voitures, nous n’avons pas aperçu le moindre gibier. La journée a été belle ; du soleil, mais le fond de l’air est frais.

Ce soir, autour du yacht, plusieurs barques sont venues folâtrer. L’une était vigoureusement menée par une jeune rameuse toute seule, à longues spirales de cheveux dorés. Dans une autre barque, deux autres demoiselles étaient conduites par de jeunes bateliers. Elles vont partout ainsi à leur guise. On les rencontre dans les forêts, conduisant leurs voitures sans aucun domestique. Comme personne ne s’en étonne et ne leur manque, elles font fort bien, et n’en valent probablement pas moins. — Nous avons des nouvelles politiques. Les journaux américains annoncent qu’avant-hier 21 une grande victoire a été remportée par le lieutenant-général Scott sur les rebelles du sud auprès du Potomac.

24 juillet. — Nous remontons vers le nord. Le yacht nous conduit à vingt-cinq lieues d’Halifax, vers Tangiers ; c’est une partie de forêt où l’on a découvert des mines d’or que l’on exploite depuis trois mois. Nous avons mouillé au fond d’un golfe étroit et très profond qui pourrait devenir un port très sûr. Le placer est à cinq cents pas du rivage, dans des collines boisées coupées de flaques d’eau. L’endroit est désolé en ce moment. De toutes parts on abat