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pect : vingt-cinq lieues de collines couvertes de forêts d’arbres verts. Nous mouillons à Halifax dans la soirée.

25 juillet. — Nous partons à six heures du matin. J’aperçois une baleine tout près du navire ; elle lance un jet d’eau qui me rappelle les sources chaudes de Las Furnas. Une autre baleine au large montre par intervalles son grand dos noir au-dessus du flot. Des milliers d’oiseaux de mer tourbillonnent autour d’elle. Elle s’en inquiète peu, plonge et va reparaître à cent mètres plus loin. Tout cela fait événement pour moi, comme tu penses. Nous rencontrons encore les brouillards, et il fait froid. J’ai vu poindre les premières lueurs du crépuscule à deux heures un quart, et ce soir les dernières teintes du soleil couchant ne s’effacent qu’à dix heures.

26 juillet. — Toujours la même brume, le même roulis, la même fraîcheur. Je lis et je dessine, car c’est toujours aussi la même vue, c’est-à-dire qu’on ne voit rien.

New— York, 27 juillet.

À deux heures de l’après-midi, nous distinguons enfin les côtes de Long-Island, pays plat, quelques bouquets d’arbres autour des habitations, jetées comme de menus points blancs dans le lointain. Nous sortons du brouillard. Nos parages se couvrent de voiles. Nous hélons un pilote qui cingle vers nous sur son léger cutter, et qui, sans aborder le yacht, s’accroche à ses flancs et bondit sur le pont avec la maestria sans affectation d’un gros matou. C’est un petit homme trapu, vieux, rond, à la face cramoisie, en paletot de coutil gris et en chapeau noir.

Nous voici dans l’Hudson, large comme un bras de mer. Nous passons entre deux forts très patauds, qu’on prendrait volontiers pour les piles gigantesques d’un futur pont suspendu. Les rives se couvrent de fabriques, de jardins, d’usines aux longs tuyaux dont les fumées montent droites comme des cierges pour se réunir dans le ciel à un immense nuage noir qui dort sur la ville. C’est New-York, le grand comptoir des États-Unis, qu’une forêt de mâts de navires de toutes les parties du monde nous cache encore absolument. Quel mouvement ! quel chassé-croisé d’embarcations de tout genre ! Aucun de nos ports français ne donne idée d’une pareille affluence. Mais voilà bien une autre affaire ! Est-ce que les maisons se mettent de la partie ? En voici une à trois étages, avec portes et fenêtres, galeries, balcons, tourelles, toitures, cheminées, écuries et remises, chevaux et voitures, le tout voguant à grand renfort de musique et de vapeur, car les flots d’harmonie s’y mêlent aux souffles puissans des machines. Est-ce un palais ou un hôtel garni qui vient à notre rencontre pour nous éviter la peine de chercher nos