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en saisir un. C’est tout simplement une blatte (b. americana) fort inoffensive, mais d’une odeur fétide. Il faut bien se coucher. Le gaz chauffe, les blattes folâtrent, et je dors comme je peux.

1er août. — Si on dort mal dans ces comfortables hôtels américains, en revanche on n’est pas servi du tout. Chaque garçon a sa consigne, et pour rien au monde ne vous rendrait, en dehors de là, le moindre service. À qui s’adresser pour faire brosser ses habits et cirer ses chaussures ? Je croyais qu’on me répondrait au moins qu’on brossait et nettoyait soi-même. Point, il n’y a dans l’établissement ni brosse ni cirage à l’usage des voyageurs. En voyage, Les Américains sont dispensés de toute propreté. Ceci m’explique pourquoi tous ceux que j’ai approchés hier sentaient si mauvais. Pourtant la liberté individuelle m’autorise à une emplette de brosses, et c’est ce que je me hâte de faire.

Déjeuner à l’américaine, thé et eau glacée. Je commence à ne pas aimer les coutumes de ce pays ; au moins si l’eau était à discrétion par cette chaleur ! mais elle n’est jamais placée sur la table, et quand on en demande au-delà de la ration, il faut attendre qu’on en fasse.

Nous visitons l’établissement pénitencier, c’est un massif de pierres de dix mètres d’élévation et de deux cents sur chaque face. Au milieu de cette forteresse crénelée, un bâtiment intérieur renferme les prisons. Les cellules donnent sur de longs corridors par une double porte, l’une en bois massif, l’autre en fer. Une porte semblable communique avec un petit carré de terre d’une étendue pareille à celle de la cellule où, entre quatre hautes murailles, poussent tristement quelques pieds de laitue ou de capucine, un liseron ou une touffe de chiendent, délices du prisonnier ! Le prince est entré dans la geôle de quelques-uns de ces malheureux, chez un entre autres, ouvrier menuisier, qui était là depuis dix ans pour avoir tué l’amant de sa femme. Bien que le médecin de l’établissement nous eût assuré qu’ils étaient rarement malades, tous avaient les yeux brillans de la fièvre ou de la folie, et la pâleur livide des plantes privées d’air et de soleil.

On va voir ensuite l’établissement de charité de Stephen-Gerard, très bien tenu et très bon en théorie. On y élève des enfans dans une complète liberté religieuse et intellectuelle. Ils apprennent le métier qui leur plaît, ne sont astreints à aucun culte particulier ; mais un des professeurs, qui m’a paru un homme distingué, me dit que le résultat n’est pas toujours satisfaisant. Quelques-uns, les mieux doués, acquièrent dans cette liberté d’esprit des connaissances et des qualités morales. La plupart, ne montrant rien de spécial et ne faisant choix d’aucune croyance, sont complètement dépaysés dans la société et manquent parfois de la vraie notion du