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en tête et drapeaux ; au vent. Les régimens défilant par compagnies nous donnent le spectacle en grand de leurs allures débraillées : des chapeaux gris à bords retroussés, des bonnets de liberté à glands d’or, des képis à plumes, des bonnets de calicot rouge comme ceux des geôliers de mélodrame, des bancals de cavalerie en sautoir sur des vareuses, des vestes, de simples chemises de laine de toutes couleurs, des fusils, des revolvers rouillés, des baïonnettes tordues, des sacs en cuir noir avec un numéro blanc plus grand que le sac même, de grands cheveux avec des barbes taillées à la Yankee, c’est-à-dire toute la barbe et pas de moustaches, des favoris en côtelettes avec des cheveux en tire-bouchon, des moustaches en brosse ou un bouquet de crin au menton, des enfans de quatorze ans avec des hommes à tête grise ; il y en a pour tous les goûts. Si c’étaient des Français ou des Italiens, ils trouveraient moyen d’avoir de la tournure dans cette fantaisie ; mais ici il n’en faut pas chercher. Ni le type ni l’instinct ne se prête au pittoresque. Ce soir, pendant que je t’écris à la clarté de mon bec de gaz, les blattes recommencent leurs folies dans ma chambre.

2 août. — Visite à l’hôtel des monnaies et au musée monétaire. Après déjeuner, on se remet en route pour Washington dans un compartiment réservé. Le railway, traverse des prairies touffues entourées de barrières ou de haies, et parsemées de grands chênes qui rompent les lignes plates de l’horizon. Cela ressemble assez aux parties fraîches du Berri ; plus loin, je vois des champs de maïs dont les tiges ont quelque chose comme quinze pieds de haut.

Nous entrons dans la région boisée de la Pensylvariie, et je salue dans mon cœur la forêt primitive tant rêvée :

Dieux ! que ne suis-je assis à l’ombre des forêts !

ou plutôt que ne suis-je à pied ! car on passe comme la foudre, et les grands arbres morts de vieillesse tendent vers nous leurs longs bras, qui se mettent à frissonner, comme surpris et ranimés par le souffle de la vapeur, ce monstre qui pénètre dans tous les sanctuaires, et qui ne respecte pas même le solennel repos de la décrépitude. De chaque côté du chemin de fer, on a abattu et abandonné sur place ces grands squelettes qui pourrissent au milieu de la vie renouvelée et comme effrénée des herbes et des fleurs, des graminées superbes, des ombellifères, des morandias charmantes, des soucis énormes, des asters et des sauges. Voilà tout ce que je peux distinguer et reconnaître au train dont nous allons. Mais je vois voltiger des nuées de papillons et d’abeilles, des oiseaux rouges, jaunes, noirs, gris, bleus, qui se poursuivent dans le fourré sans paraître se soucier beaucoup de notre passage. Un gros quadrupède roux s’enfuit sous bois en gardant l’anonyme. Dans les marécages