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à 7 milliards 1/2 de francs, ce qui permet d’évaluer à 9 milliards le revenu réel. Toutes compensations faites, on peut admettre que l’avoir des 600,000 familles composant les classes supérieures est plus que doublé depuis quarante-cinq ans.

Il est impossible de dire d’une manière précise et directe dans quelle mesure les progrès accomplis depuis quarante ans ont profité au restant de la nation. Rien de plus difficile, par exemple, que d’évaluer avec une probabilité suffisante la portion du revenu collectif qui est distribuée en salaires. On est réduit à cet égard à d’assez vagues conjectures. Je ne sais sur quelles bases M. Baines, membre du parlement britannique pour Leeds, évalue à 280 millions de livres sterling (7 milliards de francs) la somme des salaires composant le revenu des ouvriers anglais et à 500 millions sterling (12 milliards 1/2 de francs) la somme qu’ils ont capitalisée en meubles, habits, instrumens de travail, argent de poche, fonds déposés dans les banques ou les caisses d’épargne. De la part d’un homme instruit, qui aime à se faire l’écho des doléances et des prétentions de la classe ouvrière, ce bilan n’est pas suspect d’exagération : il correspond assez bien d’ailleurs aux données approximatives résultant des études analogues faites en France. On en peut conclure que la production totale, autrement dit le revenu collectif des trois royaumes britanniques, atteint 21 milliards de francs : or, le revenu collectif de la nation française s’élevant actuellement à 16 milliards, il n’est pas hors de vraisemblance que la force productive de l’Angleterre dépasse de 30 pour 100 celle de notre pays. D’après les mêmes probabilités, cette somme de 7 milliards, partagée annuellement entre les salariés qui doivent former les deux tiers au moins de la population britannique, donnerait par tête 350 fr., soit 1,750 fr. pour un ménage de cinq personnes. — Pour la France, évaluer à 6 milliards (nourriture des campagnards comprise) la totalité des salaires distribués entre les 24 millions d’habitans composant la classe des ouvriers agricoles ou industriels, ce serait calculer largement ; même à ce compte, le revenu par tête serait de 250 francs, ou de 1,250 fr. pour le ménage normal de cinq personnes. Cet écart de 500 francs est d’autant plus regrettable que la satisfaction des besoins essentiels est plus coûteuse aujourd’hui chez nous que chez nos voisins ; mais, je le répète, les élémens d’une pareille comparaison laissent. trop de place aux conjectures ; je ne les offre ici qu’à l’état d’aperçu. Si l’on veut s’éclairer sur le sort de la multitude, il faut procéder indirectement et par voie d’induction, en évaluant la puissance effective des salaires, le développement de la vitalité nationale par l’importance des consommations.

Montrer que la rémunération du travail est généralement plus forte en Angleterre que sur le continent, ce n’est pas tout dire. On