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plus importante encore que celle dont nous tenons de parler tout à l’heure. On sait généralement qu’il existe parmi les marins de toutes les nations une légende sur une île mystérieuse et inconnue qui fuit quand on l’approche, et qui est considérée comme formant la huitième des îles Canaries. Quelques-uns ont pu l’aborder, mais ils n’ont jamais pu la retrouver. On la voit, dit-on, des sommets de l’île de Palme ou de Gomère ; mais elle disparaît dès qu’on se dirige sur elle. On ajoute que c’est la même terre mystérieuse que Ptolémée avait voulu désigner sous le nom d’Aprosite ou d’Inaccessible. Les marins l’appellent Saint-Brandon ou Borondon, parce qu’elle aurait été découverte, il y a déjà bien des siècles, par un saint de ce nom. Cette légende est encore assez bien établie pour qu’un romancier contemporain et américain, Edgar Poe, en ait fait le sujet d’un de ses contés fantastiques.

C’est sur cette même légende populaire et maritime que Gomberville, ainsi qu’il le constate à la fin du Polexandre, a établi le plan de son roman. Il suppose que son héros a abordé une fois cette île inaccessible, dont il fait une description merveilleuse. Il y a trouvé une jeune reine d’une ravissante beauté, Alcidiane. Il va sans dite qu’elle lui a inspiré l’amour le plus profond et le plus exalté. Il lui a sauvé la vie, il l’a défendue contre les entreprises d’un vassal rebelle. Il a aussi touché son cœur ; mais elle résiste à ce sentiment, parce qu’elle a juré de ne se marier jamais, ne voulant point s’exposer à trouver un maître dans son époux. Un jour un corsaire portugais, qui a également rencontré cette île inconnue, enlève la confidente et l’amie d’Alcidiane. Polexandre se précipite sur son vaisseau, qui était resté à l’ancre, et poursuit le ravisseur. Dans sa promptitude, il avait oublié que le difficile n’était pas de quitter l’île inaccessible, mais de la retrouver. Il ne la retrouve plus et le voilà parcourant, désespéré, toutes les mers, abordant toutes les contrées, et cherchant en vain le pays qu’habite Alcidiane. Il avait emporté comme consolation un portrait de la reine. Un jour qu’il s’était endormi sur les bords du Sénégal en contemplant ce portrait, quelqu’un le lui dérobe, et la recherche du portrait se joint à la recherche de l’original pour faire voyager Polexandre. Il faut ajouter que Gomberville abuse un peu des portraits d’Alcidiane : il en existe plusieurs exemplaires, qui se sont répandus, sans qu’on sache comment, dans les régions les plus éloignées les unes des autres. Ainsi le prince Abd-el-Melek, fils du roi de Maroc, en possède un et la possession de ce portrait a suffi pour le rendre amoureux fou de l’original, qu’il n’a jamais vu. Le prince Phelismonf, fils du roi de Danemark, est dans le même cas. Le prince Almazor, fils du roi de Sénégal, qui est précisément le voleur de