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peut considérer comme de véritables congrès de la paix et de la civilisation.

Quant à la pauvre et noble Italie, qui s’agite, se constitue, se raffermit dans sa nouvelle destinée, elle ne connaît et ne chante que les opéras de Verdi. Je parcourais dernièrement les journaux prétendus de musique qui se publient à Turin, Milan, Florence, Rome et Naples, et qui sont aussi dépourvus d’idées que de style : je n’y lisais que des éloges pompeux du compositeur lombard dont les opéras se donnent sur tous les théâtres de la péninsule. On essaie cependant à Florence de créer un conservatoire, un instituto musicale, et d’y appeler la vie. On concours y est ouvert pour la composition d’un quatuor pour instrumens à cordes, et on y élève un monument à Cherubini, qui est un enfant de Florence. Ce sont là deux signes de bon augure pour la renaissance des bonnes études musicales en Italie. Quant à l’Espagne, elle n’existe pas, et son action sur l’art musical est aussi nulle que sur les autres branches de la civilisation. Elle s’occupe à conserver la foi de ses pères, qui l’a conduite où nous la voyons, condamne au pilori ceux qui veulent prier Dieu à leur manière, et chante la musique italienne, la seule qu’elle apprécie et qu’elle connaisse.

Rentrons dans nos pénates, et voyons ce qui se passe à Paris. L’Opéra, pour dédommager le public désœuvré qui s’étale aux premières loges des beautés d’Alceste qu’on lui a fait subir, a donné le 30 décembre un ouvrage en deux actes intitulé la Voix humaine. Le libretto est de l’honorable M. Mélesville, qui n’avait nul besoin de s’aventurer dans une fable absurde, qui n’est pas sans analogie avec la légende comico-tragique du Tannhäuser. La musique est signée de M. Alary ; mais il n’en est pas le seul coupable, car il a eu pour complices Verdi, Donizetti, Rossini, tutti, e tutti quanti ! Bien que sévère, le public a été juste pour M. Alary en lui signifiant d’une manière non équivoque de ne pas recommencer un pareil jeu. Pour nous, nous aimons encore mieux voir les lieux-communs de M. Alary accompagner le ballet de l’Étoile de Messine et la musiquette de M. de Gabrielli que de voir le Comte Ory de Rossini outrageusement exécuté et servant de lever de rideau à un spectacle de ballerines.

Mme Viardot aussi, pour se reposer des nobles émotions d’Alceste, a voulu prendre ses ébats dans la Favorite en chantant le rôle de Léonore. Cette témérité ne lui a pas réussi, et on a pu voir une grande cantatrice fort embarrassée dans une œuvre de demi-caractère, où il faut plus de passion que de style, plus de charme de femme et de voix que d’accens pathétiques. M. Faure, qui continue à prendre possession des rôles de son répertoire, a chanté les différens morceaux de celui d’Alphonse avec goût, avec talent, avec convenance, mais sans élan, et avec une voix de baryton qui n’est pas toujours agréable. M. Michot a été plus heureux dans le personnage de Fernand, et sa charmante voix de vrai ténor est agréable à entendre dans la romance du premier acte, — Un ange, une femme inconnue, — dans celle du quatrième acte, — Ange si pur, — et même dans le grand duo final. On regrette que M. Michot ne soit pas comédien et qu’il n’ait pu encore se débarrasser de quelques poses et gestes ridicules.

Le théâtre de l’Opéra-Comique continue à faire ses fredaines en ne donnant que des pauvretés sans nom, avec un personnel impossible. Un petit