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et elle en mourra ; elle pleure sa fraîcheur, sa force et peut-être quelque fiancé pauvre qu’elle avait dédaigné et qui s’est consolé trop vite. Voilà mon roman ; vous me direz demain si je me suis trompée.

La Zinovèse semblait chercher à lire dans nos yeux ce que nous disions d’elle, car elle se sentait l’objet de nos commentaires, et elle posait évidemment devant nous. Elle descendit quelques pas et nous demanda ou plutôt nous réclama une orange qui lui fut donnée aussitôt. Alors elle s’assit sans façon près de la marquise, et, pelant l’orange : — Mauvais fruit ! dit-elle. C’est de la vallée d’Hyères, ça ne vaut rien. C’est dans mon pays que ça mûrit !

— De quel pays êtes-vous ? lui demanda la marquise.

— De la montagne, du côté de Monaco.

— Je voyais bien à votre accent que vous n’étiez pas d’ici ; mais pourquoi vous appelle-t-on la Génoise ?

— C’est un vilain nom que les femmes d’ici ont voulu me donner par jalousie ; mais je l’ai accepté et gardé pour les faire enrager.

— Pourquoi est-ce un vilain nom ?

— Parce que ceux de la Provence détestent ceux de Gênes. Il y a une pique pour la pêche. Les Provençaux voudraient garder pour eux tout le poisson des côtes. Autrefois ils avaient le monopole ; à présent la mer est à tout le monde, et les bateaux de la côte du Piémont et des autres côtes plus près d’ici viennent prendre ce qu’ils peuvent. Ça ferait des disputes et des tueries en mer, si on osait ; mais les gardes-côtes sont là pour empêcher. Il y en a qui voudraient tuer aussi les gardes pour pouvoir se venger des pêcheurs étrangers et pour voler l’eau de la mer.

— Comment ! voler l’eau de la mer ?

— Oui, oui, pour se faire du sel et ne pas le payer. La loi défend de prendre un seul verre d’eau dans les ports, et sur les côtes on n’en peut prendre qu’un seau de temps en temps ; encore ça pourrait être empêché, si on voulait. Soyez tranquille ! quand je vois arriver un baquet, je crie après les hommes du poste. Est-ce que vous dormez ? que je leur dis ; faites donc votre ouvrage, et gardez l’eau du gouvernement.

La marquise s’abstint de toute réflexion, et, voulant s’instruire avant de juger, elle reprit : — Alors c’est par dépit contre votre zèle de bonne gardienne que l’on vous traite de Zinovèse ?

— Oui, et parce qu’ils appellent Génois tous ceux qui ne sont pas d’Hyères ou du côté de Marseille. Ils sont si bêtes par ici ! D’ailleurs il y a encore autre chose !

— Oui, vous étiez la reine du pays, n’est-ce pas ?

— Ah ! vous avez entendu parler de moi ? dit la Zinovèse en se